vendredi 30 mars 2007

Le vilain temps

Un recueil de Jacques Perret – introuvable aujourd’hui – s’appelle Le vilain temps. Sorti en 1960, il rassemble les papiers pro-Algérie française de Perret et ses carabineries drôlatiques et vénéneuses contre le pouvoir des lâcheteux en place, gaullien ou autre : « Si, reconnaissant mes torts, je n’hésitais pas aujourd’hui à déclarer devant vous que le général de Gaulle est à mes yeux désormais toute loyauté, franchise et droiture, le tribunal serait fondé à croire que je me moque de lui… » Une parole frondeuse, condamnée alors pour "offense au chef de l'Etat", qui ne passerait plus par les tristes temps où nous vivons. Remplacez de Gaulle par Nicolas le petit, John Biroute ou Ségogo : la campagne prendrait des couleurs, des coups de soleil. L'horreur pour les tièdes !
Le vilain temps – qu’on ne s’y trompe pas – c’est aujourd’hui. La langue en cage, des fiches de police partout, la droite au mouroir et la gauche sous respirateur. L’enfer !

Liberté pour Ménigon

Y-a-t-il lieu de libérer Nathalie Ménigon pour "raison de santé" ?
La desperada d'Action Directe, en zonzon depuis 1987, a subi plusieurs attaques cérébro-cardiaques. Elle souffre de "séquelles avec contractures importantes", de "troubles sensoriels divers", de "troubles neurologiques", de "limitation des activités motrices", de "spasmes de torsion des membres supérieurs". Alors Ménigon dehors ? Je réponds tout de suite oui: liberté pour Ménigon !
La Justice, elle, a déjà refusé plusieurs fois sa libération. Elle a convoqué experts, traficoteurs d'analyses, toubibs à sa botte. La Justice a délibéré, cuisine interne et malbouffe assurée. La Justice tient à ses règles de conduite. La parole est à la dame Jugeote ou au monsieur Propre en robe noir: Ménigon en tôle, encore, toujours!
En France, la Justice, qui a condamné moult héros et décoré Maurice Papon d’un brevet de bonne conduite, devrait compter pour du beurre, pour des pets, pour des babioles de rien. La Justice, ses dorures et ses porte-parole élégants comme des porte-manteaux: zappons-la! Un juge, ça se récuse, ça se fout au placard, ça s'achète...
Il y a quelques temps, j'avais supplié, dans feu la revue Cancer!, les dieux de l'évasion - Zorro et son lasso!-, de fournir à Ménigon le coup de main nécessaire à sa survie. Le corps en vrac, l'esprit bousillé par l'isolement et autres tortures carcérales, Nathalie n'a pas pu suivre. Depuis, sa camarade Joelle Aubron est morte, à peine sortie. Aujourd'hui, changement de stratégie: la balle, le boulet, la boule de feu est entre les mains de Chirac.
Monsieur le Président: graciez Nathalie Ménigon ! Président en partance, devenez un Prince! Matez la justice avant qu'elle ne vous cherche des noises. Et imposez-vous définitivement sur la fameuse "scène intérieure française" ravagée par Nicolas le petit, sbires et sbirettes Associés. La France tomberait, perdrait la face? Dans sa cellule, c'est Nathalie qui a mal aux guiboles, tremble, souffre, prend l'eau de partout, c'est Nathalie qui crève.
Une dernière fois, Chirac: liberté pour Ménigon, graciez-la ! Elle a "payé" : qu'elle sorte. Et puis n'oubliez pas Rouillan, Cipriani et Max Frérot.

mercredi 28 mars 2007

Le hussard sur le court

Grâce à Thomas A. Ravier – qui publiait Le scandale Mc Enroe[1]-, l’automne a eu le goût d’un été de notre enfance. Un saison qui posait, chaque mois de juin, ses valises légères sur la terre battue de Rolland Garros. Rolland Garros, c’était l’été, même avant l’heure. Et l’enfance, son esprit Bernanosien, c’est Mc Enroe. Fin des années 70, débuts des années 80. Sur le court, un « voyou des stades », un « punk ricain émotif », « d’Artagnan dépenaillé et préhistorique, un mousquetaire dévergondé, cavalier passionné du nouveau monde » n’en fait qu’à sa fête. C’est à dire à sa classe folle de danseur colérique matadorant la petite balle jaune. En face, ses adversaires s’appellent Jimmy Connors, Vitas Gerulaitis, Bjorn Borg, Victor Pecci ou Yannick Noah. Comme John, de sacrés larrons. Ils aiment les belles caisses, l’alcool, les cigarettes, les pétards mais jouent leur vie à chaque match. Ils fracassent leur raquette quand l’arbitre ne voit pas une balle out. Ils plongent pour sauver, au filet, une balle de break. Et ça attaque ! Service slicé croisé de Mac Enroe. Connors – « terroriste trivial dans les jardins diaphanes de l’aristocratie » dixit Ravier - remet un passing terrible le long de la ligne. Mac Enroe, monté à contre-temps, se jette, volée amortie. Connors a déjà lancé sa course, il remet... Au changement de côté, les regards haineux se cognent, les insultes sont de sortie.
Pour se rappeler John Mac Enroe, il faut lire le court texte magnifique de Thomas Ravier. Il y parle du corps des champions, de l’électricité composante du génie, de New York, du jazz et de la solitude du héros face aux cochons. Ravier aime NTM, Céline, Proust, Morand, Nabokov, Michael Jordan et Mac Enroe. Un cocktail qui déchire et qui nous dit que les artistes, quel que soit leur style, trinquent au même zinc.

[1] Thomas A. Ravier, Le scandale John Mc Enroe, L’Infini Gallimard, 108 pages.

dimanche 25 mars 2007

Pietra

Accoudée au zinc, cheveux noirs, oeil noir, caraco noir et pantalon en toile blanche, c’est une danseuse. J’ai l’œil qui ne trompe pas. Je ne fréquente que ces oiseaux de nuit. Et j'ai en bouche des mots qui tuent, des mots céliniens qui révèlent un noyau d'aurore : « Dans une jambe de danseuse le monde, ses ondes, ses folies, ses voeux sont inscrits !... Jamais écrits !... Le plus nuancé poème du monde !... émouvant ! Le poème inouï, chaud et fragile comme une jambe de danseuse en mouvant équilibre est en ligne, aux écoutes du plus grand secret, c'est Dieu ! »

_ Qu'est-ce que c'est ?

_ C’est une ode au compas des jambes, à la vista des cuisses, à leur forme, à leur mousse de lin, au galbe de leur lame.


C’est une danseuse. Elle me répond sans un mot de trop, d’une langue qui perce entre ses dents.

_ La grâce ?

_ Je la touche dès qu’elle se cache.

_ C’est-à-dire ?

_ La grâce, c’est l’absolu dans sa chair, dans son cache-cœur de roches fendues jusqu’à l’os. Quand elle disparaît, effarouchée par le bruit des ricanements du dehors, je lui offre mes entrechats, et elle revient, se pose de nulle part et m’embrasse sur les paupières.
Alors qu’elle parle, j'imagine un palais, un théâtre, un opéra.
La scène partout présente, le parquet lustré, les miroirs déformants.
La salle de répétition, à laquelle mène un couloir encombré de sacs à dos et de peluches porte-bonheur.
Les pointes qu’on enfonce, qu’on tord sous la commode, et les larmes.
Les pointes qu’on caresse, le rose des sucres d’orge et des tutus, l’étoffe au plus près du corps.
Une jambe qui s’élève, se plie, se déplie, effleure la barre.
J'imagine le rimmel autour des yeux, une chatte, une Catwoman en fourreau de peau. J'imagine la cigarette pour se perdre, pour oublier, pour respirer, anéantir la lourdeur du temps.
Cheveux noir, oeil noir, caraco noir, c'est une danseuse. Personne ne peut s’accaparer l’espace avec une telle majesté des gestes. Les murs du troquet se réduisent aux marques secrètes qu'elle dépose sur les paumes de chaque courant d'air. Son corps est habité, hanté, ensorcelé par une absolue classe héritée des dieux. Un poignet, un coude, une épaule bougent, les jambes se cherchent, se trouvent, se croisent, dénouent leur foulard : l’extase est immédiate, l'extase arrache des soupirs aux offenses effacées. Elle prend son verre : je chavire. Elle le ramène à ses lèvres : je sombre. Elle fond dedans: je bois la tasse.
Accoudée au zinc, elle déguste un verre de Sancerre. Dans sa main droite, une marlboro légère et ses colliers de brouillard. Elle laisse infuser les tracas, les coups bas. Elle s'est posée là pour rebondir, pour s'envoler. Belle sur scène, elle le serait filmée par Chabrol ou par Brisseau. Qu’ils y pensent.

L'Opinion indépendante

Christian Authier est un homme de talent : lecteur de Jacques Laurent, Baudouin de Bodinat, Patrick Besson et John King, critique percutant, passionné du beau jeu footbalistique et romancier des âmes cabossées. Il s'occupe des pages politique et culture de L'Opinion indépendante, journal toulousain pour lequel il me demande, de temps à autres, quelques mots. A côté des papiers d'Authier et de Sébastien Lapaque - styliste de choix, je peux parler à ma guise, dans L'Opinion, de Jean-Edern, de Frédéric Berthet, de Philippe Muray, de la série 24 ou encore de John McEnroe. Autant de textes qui trouvent ensuite leur place sur ce blogue foutraque.
L'Opinion indépendante : à découvrir sur : http://www.lopinion.com/public/lopinion/html/fr/home/index.php

Nico le Grand

Pour oublier Nicolas le petit, gnafron mauvais parleur que personne n'interrompt jamais, je regarde Nicolas Anelka. Sa gueule entre le dieu grec et le repris d'injustice. Sa classe folle sans ballon ou balle au pied. Anelka est un danseur échoué sur un terrain de foot. Il joue avec les défenseurs comme Noureev, sur la scène du Bolchoï, jouait avec les courants d'air pour s'envoler. Face à la Lituanie, je n'ai vu que lui. Quand il a marqué - l'espace d'un dribble, d'une course chaloupée et d'un tir rasant -, le temps s'est supendu. C'est l'art du matador à proximité de la surface de réparation. C'est signé : Nico le Grand.

vendredi 23 mars 2007

L’esprit d’enfance de Christian Laborde

Avec Pension Karlipah[1], Christian Laborde nous raconte la révolte d’un adolescent qui ne joue pas le jeu de l’époque. Une belle histoire sur laquelle souffle l’esprit d’enfance cher à Bernanos.

Vingt ans après L’os de Dionysos, Christian Laborde arpente une nouvelle fois le chemin des écoliers. Son héros de 1987, le swinguant prof de lettres Christophe Laporte, laisse la parole à Oscar Pock, un ado frondeur que ses parents conduisent dans une pension pyrénéenne pour qu’il retrouve « le droit chemin ». Mais la langue est la même, lyrique et punchy comme un uppercut de Mohammed Ali, rythmée comme la pédalée d’Armstrong qu’aime tant Laborde : « On leur avait parlé d’une institution où les élèves travaillent, où la discipline est stricte, une institution dont les murs sont infranchissables, pas d’une vallée, encore moins d’une route étroite et noire, longeant un fleuve tumultueux, entre des falaises vertes. Ils m’avaient inscrit à Karlipah sans même savoir où Karlipah se trouvait. Ce qu’ils voulaient, c’est qu’on me recadre, et que je débarrasse le plancher. »
Coincé à Karlipah pour « faute grave » – il aime Bukowski, les films d’Eastwood, le silence et une Lolita nommée Angelina -, Oscar ne joue pas le jeu des gros bras de l’éducation. Il ne répond pas « Chef, oui, chef ! » aux injonctions d’un personnel enseignant qui n’attend, pour unique attitude, que le garde-à-vous. A la camisole de pensée qu’on veut lui imposer, Oscar préfère la fugue. Dès son arrivée, il se donne le droit de n’en faire qu’à sa tête – repeindre le ciel en bleu en fumant des cigarettes, par exemple - et de prendre l’air. Pour faire sauter les cadenas de Karlipah, il s’est choisi deux bases d’attaque : le gymnase, où il boxe les sacs de frappe en pensant à Hillary Swank dans Million dollar baby, et la bibliothèque d’un Frère savant. Lui qui ne vit que dans les mots – ceux laissés par un frère trop vite disparu, ceux qu’il échange avec la belle Angelina -, il y trouve son passeport pour le grand large : Les mots de Karlipah. Un vieux traité de philologie montagnarde qui lui offre la clé des champs, c’est-à-dire des paysages inouïs et de belles histoires contre lesquels il est doux de s’endormir. Qu’est-ce qu’une histoire ? C’est « le ciel, la nuit, des lampadaires, des fenêtres qui s’ouvrent, des gens qui courent, qui s’embrassent, avec des coups de feu, des sirènes, des bateaux, des femmes qui fument des cigarettes lentement. » Une histoire, c’est aussi l’ours, roi déchu de Karlipah, de sa vallée, de ses forêts, de ses montagnes ensorcelantes, l’ours que les anciens appelaient « Grand père ». Une enfantine boule de poils pour laquelle Oscar versera des larmes, bravera tous les dangers et livrera le baroud d’amour d’un jeune homme libre.
En s’attachant aux pas d’Oscar, en faisant sienne sa soif de révolte et d’évasion face à un monde moins en moins habitable, Christian Laborde ne se situe dans aucun genre. Loin des codes de la « littérature jeunesse », il parle seulement à l’enfant qui sommeille en chacun de nous. Un gamin rêveur qui lira Pension Karlipah comme il a dévoré L’Ecume des jours, Fermina Marquez ou L’Attrape-cœur. En n’oubliant pas que « moins il y a de beauté, plus on est malheureux. »
[1] Pension Karlipah, Plon jeunesse, 153 pages, 13 euros.

samedi 17 mars 2007

Maud Fontenoy par Olivier Frébourg

"La France est avec Maud, tout contre Maud. Avec son nom digne d'un roman de Mme de La Fayette, la nouvelle princesse des vagues est une reine de courage aux jambes de mannequin, qui porte le short comme une héroïne d'Hemingway. Un modèle de noblesse au sourire frondeur de garçonne. Elle pourrait aussi inspirer la prochaine chanson insulaire de Laurent Voulzy : En mer avec Maud."

mardi 13 mars 2007

Nous vous ferons aimer la France d'après !

La "France d'après" ? C'est aujourd'hui. Relire - comme toujours - Bernanos : La France contre les robots.
Les robots ont des têtes de "manageurs" et un corps de "business modèle". Les robots vendent des cacahouètes aux singes inutiles que nous sommes. Les robots, le midi, déjeunent dans des salles climatisées, tapissées de blanc, où la fumée est persona non grata. Les robots, repus, rôtent des chiffres, des indices et des courbes qui ne doivent rien à Scarlett Johansson. Les robots disent, le sourire du croque-mort aux lèvres : "Le problème, c'est les hommes et les idées". Les robots, pour se détendre, mettent une main froide au cul des demoiselles, ne voyant en elles que putes ou secrétaires. De retour dans leur bunker sweet bunker, les robots baisent d'un coup de clic leurs compagnes robotes qui, d'un retour de clic, sucent de métalliques protubérances qu'elles prennent pour de la money.
Les robots ont gagné. Le règne de l'action bêtifiante a laissé l'homme, gueule en sang et souffle court, dans le caniveau. La rafle rééducative a commencé il y a longtemps. Elle se poursuit, s'accélère avec, toujours, le même mot d'ordre : "Nous vous ferons aimer la France d'après !"

Gab' le magnifique

Gabriel Matzneff qui, dans ses livres, nous a appris que les plus jolies héroïnes s'appellent Vanessa, Tatiana, Francesca ou Angiolina, écrit des chroniques. Le Combat de Tesson ou L'idiot international d'Hallier étant morts, il les offre à son site : http://www.matzneff.com/chroniques.htm
Qu'il s'inquiète de la parution des inédits de Pierre Boutang ou pique une colère contre les balances de la pied-pensance, tout est de haute volée. La langue française dans tous ses éclats. Quand il s'intéresse aux Zélections à venir, il pose sur la "rapicolante Ségolène" des mots d'écrivains : "Qu’elle nous exaspère ou nous divertisse, Ségolène Royal nous tient éveillés, et c’est un bon point pour elle en un temps où quasi tous les politiciens nous endorment." Sans le citer, il évacue Nicolas le petit d'une citation de De Gaulle : « Pour me succéder à la tête de l’Etat, il faut quelqu’un qui puisse dire non aux Américains. »
Qui reste-t-il pour Gabriel ? Ni tracteur mou ou borgne baudruche : juste des poussières de songes : "Je rêve d’un prince (ou d’une princesse) éclairé (e) ; d’un Frédéric II de Prusse ou d’une Marguerite de France, fille de François 1er, protectrice des poètes et des amants. Oui, un rêve, c’est-à-dire, hélas, l’ombre d’une ombre. L’avenir sera rude. "
Bis et re-bis : on demande des écrivains !


lundi 12 mars 2007

Gabrielle

Gabrielle Lazure dans La Crime. Pure beauté des années 80. Son carré blond légèrement auburn. Ses yeux où pétillent mille et une bulles de champagne. Ses lèvres délicatement ourlées de rouge. En tailleur gris révélant des jambes qui affolent les compas, Gabrielle fait un doigt d'honneur à un ministre. Puis apparaissent les blanches attaches d'un soutien-gorge quand tombe le chemisier de soie noire. Claude Brasseur -flic paumé, clopeur à mort, fin limier et fine gâchette - la prend en photo, s'arrête sur la grâce. Comme nous, il ne se remet pas de Gabrielle, de sa nuisette rose pâle comme l'aube qui s'étire. A la fin du film, Brasseur râle : "Qu'est-ce que tu fous encore là ?" Gabrielle répond : "Je veux juste que tu m'aimes". Sa voix a le timbre d'écume des océans traversés. Sa voix, dans La Crime, porte les mots ciselés et percutants de Jean-Patrick Manchette.

mardi 6 mars 2007

Nabe en campagne

Les pieds dans le plat et la peau sur la table, des mots, du style : Marc-Edouard nabe s'invite dans la campagne présidentielle. C'est un tract beau comme une fusée, c'est sur les murs des rues parisiennes et c'est sur son site :

samedi 3 mars 2007

Just Shane MacGowan

J'entends chanter "Farytale of New York" par Shane MacGowan.
Mon pays a la voix de Shane MacGowan.

Mon pays a la beauté rauque et destroyée de la voix de Shane.

Je chante avec Shane, Pogues ou pas, "Dirty ol' town".

Je chante avec Shane, Pogues ou pas, "Sally Mc Lennane".

Shane McGowan, avant chaque match du XV d'Irlande, devrait chanter le "Ireland 'call".

Quand l'Irlande entonne le Ireland's call , j'ai la chair de poule. Parce que j'entends Shane à travers les gosiers de tout un peuple.

Shane n'a plus de dents, n'a plus de voix, plus de mots en bouche. Shane entonne "Dirty old town". Putain de vieille ville. C'est tout ce qui nous reste. Des saletés de vieilles villes, si belles.

vendredi 2 mars 2007

Le mercenaire de la grâce

Je me souviens , c'était l'été dernier. 30 degrés et des poussières, l’ombre se planque. En terrasse, je bois des demis, allume une bastos et goûte les mots de Jérôme Leroy.
L’ombre – son couteau froid et ses doigts de fée -, je la trouve dans Le déclenchement muet des opérations cannibales (Editions des Equateurs). Des poèmes, des récits, des lambeaux d’homme à l’heure de la fin du monde.
La fin du monde ? Comme Céline, JG Ballard ou Dominique de Roux, Leroy l’a sous les yeux : les villes cassées de notre enfance, la douceur des saisons passées par les armes, la négation permanente de la beauté des lucioles. Face à ça, le poète, en mercenaire classe de la seule grâce, se promène, se souvient et sourit. Ses pas l’amènent dans les rues de Pékin et d’Abbeville, de Lisbonne ou de Saint-Malo. Et son sourire fait apparaître d’autres sourires, d’autres silhouettes. Scarlett Johansson dans Lost in Translation, dans Match Point – « La fin du monde viendra / Et elle aura les yeux / de Scarlett Johansson » -, Asia Argento et son angélique tatouage dans New rose Hotel, les jeunes filles à la peau bronzée qui, en Bretagne et ailleurs, « quittent la plage en scooter ».
Que dire, aujourd’hui, à ces Lolita du temps qui passe ? Leur parler de ce « blues de chinois » qui étreint les derniers dandys, du groove si sexy de Marvin Gaye, des belles fugitives de 40 ans. Leur parler des amours qui naissent dans le reflet de cristal[1] d’un verre de pouilly fuissé et surtout, surtout, prononcer ces mots : « Nous avions des terrasses / Pour l’indolence et le bonheur / L’amitié avec l’espace / Pour le plaisir et la nuit / Le vin blanc glacé et les cohibas / Pour la lecture de Pasolini / Pour caresser les bras des filles. »
En terrasse, je bois des demis, j’allume une autre bastos. Je suis, comme Leroy, « un pâle fantôme français » un peu saoul rêvant, pour s’achever, de bouffer la chatte de sa muse.

[1] A lire également, de Jérôme Leroy : Rêves de cristal (Editions des 1001 nuits). Une novella où les princesses sont « mimosa » et s’appellent Yukiko. Une forme d’enchantement qui torrée le réel.