dimanche 30 septembre 2007

Héroïne pas morte

Quand Noémie m’est apparue, elle couchait avec mon meilleur ami. Elle me connaissait ; moi, pas encore. Elle m’avait lu dans la revue Bachi-Bouzouk . Elle n’aimait pas toujours mes mots – sur la gauche, la droite, les terroristes - mais elle les lisait.
Dans ce bar où j’étais comme chez moi – Les petits papiers -, elle a pris tout le monde à témoin, affirmant que j’étais trop dur et méchant avec François Mitterrand. Nous parlions d'un vieux monde, d'un "vieux pays", tout l'immonde s’en foutait et moi je rigolais.
Rapidement, plus rien n’a existé sauf elle et moi. Elle ressemblait à une héroïne de Wong-kar-Waï. Elle était parée de noir, jupe et caraco comme une tombée de nuit. Nous buvions du vin blanc, en jouant du piano sur nos peaux.
Très tard, chez elle, alors que nous terminions une bouteille d’absinthe polonaise, Noémie s’est endormie. Je l’ai regardée longtemps. Je lui ai écrit quelques mots sur une feuille blanche qui traînait. Puis je suis parti. Trois jours plus tard, Noémie me rejoignait à Paris, dans ma tanière.

Descendant du train gare Montparnasse, Noémie avait tout lâché. Mon meilleur ami, ses meilleurs amis, son psy, ses dealers, ses hantises, ses amants, ses cauchemars. Noémie m’aimait. Noémie voulait ma peau et tout le reste.
Le reste ?
L’amour fou que je chéris comme le dernier rejeton des surréalistes, mes mots, mes excès, mes abîmes, mon art de la séduction permanente, ma démarche de danseur cabossé, mes entrechats d’ex-alcoolique pas repenti.
Noémie a débarqué chez moi avec la grâce d’un moineau fragile.

Le premier soir, Noémie m’a embrassé en sortant de la Rhumerie Martiniquaise. Elle était saoule d’avoir voulu me faire boire. Ses lèvres avaient la douceur sucrée du Martini qu’elle venait de terminer. Dans le taxi qui nous ramenait chez moi, Noémie m’a encore embrassé. Sa langue douce était une tétine à sucer pour le gamin obsédé que j’étais. Elle s’est rapidement couché sur mes genoux. Elle voulait parler maintenant, me dire qu’elle m’aimait, qu’elle était heureuse, que j’étais quand même un connard de l’avoir faire boire.

_ C’est toi Noémie qui a commandé.

Sa voix s’éteignait. Noémie allait s’endormir. Ou se tirer dans les bras de miss Gueule de bois. Elle me disait que ma lettre était belle, elle se souvenait de bribes, de lambeaux. Je lui caressais les cheveux, lui demandant de se taire.

_ Je veux juste te regarder.

Le taxi arrivait. Ca ressemblait au début d'une belle histoire destroyée.

vendredi 28 septembre 2007

7 raisons (au moins) de rééditer Edouard Limonov


1 - C'est un écrivain bien accompagné
2 - Ses admiratrices sont fort jolies
3 - Les premières lignes de Autoportrait d'un bandit dans son adolescence gravent au couteau des corps vivants sur le béton : "Eddy-baby a quinze ans. Adossé contre le mur de la pharmacie, il attend, l'air dégouté. On est le 7 novembre. c'est la mi-journée, il fait frais, et les pékins endimanchés - la tribu moutonnière, comme les appelle Eddy, déambulent en troupeau devant lui."
4 - Jean-Edern Hallier l'aimait beaucoup. Et Jean-Edern mentait sur tout, sauf sur les grands écrivains ...
5 - Le poète russe préfère les grands nègres est un titre qui ne ferait rire ni les bobos de gôche, ni les babas de droite, mais qui est très drôle
6 - Oscar et les femmes, c'est Ellis et McInnerney avant Ellis et McInnerney, en plus poétique, en plus tranchant. C'est-à-dire en mieux. Natacha, dans Oscar et les femmes, est une des plus troublantes héroïnes de la littérature : "Il était impossible de ne pas regarder Natacha. Les gens attendaient toujours quelque chose d'elle : elle portait en permanence sur le visage les signes prémonitoires d'un acte extraordinaire."
7 - En vrac : Histoire de son serviteur, La sentinelle assassinée, L'étranger dans sa ville natale, La grande époque, Le grand hospice occidental, Journal d'un raté, Salade niçoise, Le petit salaud, Cognac Napoléon, Des incidents ordinaires, L'écrivain international, Discours d'une grande gueule coiffée d'une casquette de prolo, que du bon et j'en oublie ...

Supplique pour une sexualisation de la vie politique
















"Réformer", "refonder", "ouverture", "sans tabous", "rupture", "faillite" et tutti merdi : mots vides, mortes déclamations dont je me tape. Sous Nico le petit, la grande oeuvre ne doit pas être la relance de la croissance - crime contre le peuple, lire Michéa, Latouche - mais la sexualisation de la vie politique. Partout les seins de Cécilia, le ventre nu de Rama, le cul de Valérie, la nuque de Najat, les cuisses de Ségolène ! Encore un effort, mesdames mesdemoiselles, pour réveiller la République !

Marignac, puncheur stylé

Sur le ouèbe, je trouve beaucoup d'anonymes corbeaux, des fafounets, des cathos sans foi, des neuneus sans frontières. Diable merci, je peux aussi y lire mes camarades Moissonneuses et, depuis peu, Thierry Marignac sur http://chroniquesmarignac.blogspot.com/
Marignac, c'est comme Berthet ou Bonnand, il faut le lire, le relire, urgemment. Pour rendre à l'époque les coups qu'elle nous met. Pour ne pas oublier que le style est le dernier luxe des bandits classieux, des fugueurs hors-pair. Lire Marignac donc, en commençant par Fasciste, initial coup de poing dans la gueule de l'Histoire finissante. Enchaîner sur Cargaison, l'Est comme berceau et décombres, mèche à combustion lente qui allumera l'incendie dans Milana - nom d'une divine héroïne froide en caraco et pantalon de treillis -, dans Fuyards, dans le crépusculaire A quai.
Au coeur de ses textes, Marignac cite Céline, de Roux, Mishima, Rigaud, Mailer - auquel il a consacré un essai particulièrement costaud. Marignac, on le voit, se place du côté des meilleurs, c'est-à-dire des pyromanes solitaires de haute lignée. Pour enfoncer le clou, précisons qu' "un ami très cher" de Marignac s'appelle Edouard Limonov, magistral écrivain russe punk et contemporain. Tout est dit.

jeudi 27 septembre 2007

Les seins de Cécilia

Cécilia,
Tout le monde parle du mystère qui parerait votre personne. Mais de mystère, je n'en vois point. Nous connaissons tout, ou presque, de vous. Votre mari, vos amours, vos moments de "réflexion", vos ennemis, vos robes, vos angines, vos voyages, vos copines, vos filles qui sont fort jolies. Le plus intime, vous l'exposez, comme un trophée de guerre, sur la scène publique, ces tréteaux montés pour un public de prime time et de magazine people. Logique, me direz-vous, le peuple est mort et votre époux piétine, et dépouille, son cadavre.
De ce ramdam, je le sais, vous vous moquez. Ca vous intéresse peu. Ce qui compte, après de si longues années de lutte entre deux coquetèles : les Palaces à l'oeil, la carte de crédit et l'absolution totale qu'offre le pouvoir. Tout pourrait être parfait, tranquille pour vous. Et pourtant, votre époux continue ses salamalecs gonflés de testostérone. Il ne connaît que ça. Après avoir trempé son biscuit, il revient la bouche pleine de "Elle est la plus belle", "Je ne pense qu'à elle", Vous l'aimerez comme je l'aime". Il prend la France, l'Europe, le monde entier à témoin. Il verse des larmes, se touche devant les foules, vous invite à partouzer avec "Double U", le dadais texan. Vous n'en pouvez plus, je vous comprends. Il faut lui faire la nique, le griller sur le terrain du scoop, de l'événement.
J'ai un plan, un truc d'enfer. La presse adorera, le peuple se réveillera. En une du Monde, du Figaro, de Libé', au 20 Heures de PPDA : offrez-nous vos seins. Oubliez Prada et passez un deal avec la peau. Allez jusqu'au bout de la transparence imposée pour la tuer d'une balle dans la nuque.
Vos seins, putain de Dieu, c'est ce qui nous manque. Vos seins pour enrhumer votre époux, baillonner Bernard Kouché, tondre Mariani, empailler Hortefeux. Vos seins pour fusiller les tests ADN, le surplus d'expulsion, les "bombardiers sans frontières". Vos seins, doux et lourds, blanc comme la neige à laper, doperont la croissance, Cécilia. Et puis, j'en suis sûr, votre cadeau à la France incitera Rama Yade, Rachida Dati et Nathalie Kosciusko-Morizet à dégainer à leur tour leurs plus plus belles rondeurs.
Pour charcler votre époux, Cécilia, initiez la dream team des tétons érectiles.
Je vous embrasse et compte sur vous.

mardi 25 septembre 2007

Bonnand est grand !

Le Dictionnaire de littérature à l'usage des snobs et surtout de CEUX QUI NE LE SONT PAS de Fabrice Gaignault est un précieux recueil mêlant raretés, grands crâmés et dandy de haut style. Au milieu de notices précises et stylées sur Albert Cossery, Dominique de Roux, Henry Jean-Marie Levet, Arthur Cravan, Nick Toshes, Guy Dupré, Sunsiaré de Larcône, Frédéric Berthet, Jean-Jacques Schuhl ou encore la Villa Malaparte, ce Scud du prix Pulitzer Edna Ferber au dramaturge Noel Coward qui lui disait "Edna, vous ressemblez presque à un homme" : "Vous aussi, Noel."
Autre bonheur , la lettre B. Prénom : Alain. Nom : Bonnand. Romancier, nouvelliste, obsédé des femmes et du style. Un feu follet des années 80 dont nous ne nous lassons pas de lire et relire Les jambes d'Emilienne ne mènent à rien, Les mauvaises rencontres, Feu mon histoire d'amour. Un vieux garnement revenu, pour un tour de piste, il y a quelques années avec Je vous adore si vous voulez et Il faut jouir, Edith. Quand il évoque une femme de chambre, Bonnand écrit : "Yvonne rentrait vieillie d'avoir passé sa journée à tirer le drap sur les amours des autres." Classe, papatte et volupté : c'est ainsi que Bonnand est grand !

vendredi 21 septembre 2007

Nico a une crampe

En début de soirée, pendant presque une heure, un homme de très petite taille, ravagé par les tics, s'est branlé devant des millions de Français. Plus il se branlait, plus il jouissait de se sentir si puissant entre ses mains. Le plus beau, c'était lui, le plus costaud aussi, le meilleur, le grand chef. Deux habitués du forcené, Arlette et Patrick, ont mollement tenté de le raisonner : "Nicolas, n'en faites-vous pas, parfois, un peu trop ?" Rien n'y a fait. Nicolas ne pouvait décoller ses doigts de sa bite. Nicolas voulait se finir en beauté. Pour s'aider, il a prononcé quelques mots cochons - Fillon, Kouchner, Hortefeux, Morin. Mais ça ne marchait pas, zéro goutte sur le costume Prada. Il a fallu sortir les revues, se coller le nez sur les photos de Rama, Fadela, Rachida. L'effet a été immédiat. Nicolas s'astiquait de plus belle, au rythme de ses tics. Il gueulait : "Elles sont à moi, elles sont à moi !" Au moment de tout lâcher, un incident a gâché la fête. Patrick a fait une bourde, une faute grave. Patrick a demandé : "Nicolas, savez-vous où est Cécilia ?" Nicolas a crié, blanchi, pleuré. Sa bite a alors brusquement disparu des écrans TV. Les Français ont pu reprendre le cours normal de leur vie, pensant très fort, pour certains, aux seins de Cécilia.

Neuhoff après la guerre

Eric Neuhoff est « un enfant des livres, de la province et de la nostalgie ». Il se présentait ainsi dans Comme hier, délicate chronique autobiographique publiée en 1993. Il y évoquait son père, sa femme et son premier fils. Des figures qu’on retrouvait dans Barbe-à-papa et qui reviennent aujourd’hui dans Pension alimentaire. Un roman pour suspendre le temps, l’instant d’un regard aiguisé sur une génération qui titube. La génération en question, celle du héros de Neuhoff - un éditeur parisien quinquagénaire – n’en revient pas du KO brutal qu’elle vient d’encaisser. Rêvant d’aventure, elle n’a trouvé que le mariage, « ce mot qui recouvre les disputes sans importances auxquelles se livrent tous les couples dans la deuxième moitié du XXe siècle. » Au fil des années, les disputes se transforment en indifférence. La guerre est feutrée mais la guerre est perdue le jour où un vieux père malade dit à son fils : « Comment est-ce que tu peux divorcer ? » C’est l’histoire de cette après-guerre que raconte, avec une élégance rageuse et mélancolique, Pension alimentaire : « Le mariage constitua la seule aventure qui nous restait. Nous avons enfilé nos alliances comme on prendrait les armes. Le divorce était une malédiction, une aubaine, un bienfait, un châtiment divin. Il y avait la puanteur de l’échec, cette impression pas si désagréable de couler corps et biens, le silence mortel du crépuscule. »
De Camille, le narrateur ne garde que quelques images aux couleurs passées et des SMS hargneux. Par exemple : « Quel père. Jeune. Brillant. Humaniste. Les enfants s’en rendent compte. Petit à petit. » suivi de « Pauvre homme, dire que tu vas sur ta soixantaine. » Il prend ces fléchettes fielleuses pour ce qu’elles sont : peu de choses. Il y voit la confirmation qu’ « il n’y avait plus moyen de vivre avec cet amour mort entre nous, comme le cadavre d’un enfant noyé. » Ce qui, par contre, lui est insupportable, c’est le nom que prononce Camille après lui avoir annoncé : « Je suis avec quelqu’un. ». Pierre Maurin, l’ancien voisin du couple, un publicitaire fier de ses « vingt briques par mois ». Mais Pierre Maurin était surtout devenu son comparse de célibat. Disparaissant du jour au lendemain dans les bras de Camille, Maurin trahit l’amitié, cette noblesse de l’âme qui réunit les mâles solitudes autour d’une bonne bouteille, de mots embrumés et de la vision de Linda Fiorentino dans Last Seduction.
Personnage caricatural d’une époque dont la morgue se perd lentement dans les désillusions, Pierre Maurin va morfler pour tout le reste, pour la douleur qu’on tait : le père qui meurt, les enfants qu’on ne voit plus, qui manquent atrocement. En puncheur facile, Neuhoff l’achève comme il se doit : « Je t’emmerde Pierre Maurin […] Tu baises mon ex-femme. Tu as des costards sur mesure. Tu joues les patriarches avec mes fils. Quelqu’un de meilleur que toi aurait été dévoré par la honte et le dégoût. Mais tu n’es rien d’autre, avec ton ego si fragile et envahissant, qu’un de ces frimeurs à lunettes de soleil qui se garent en double file avenue Montaigne, un ivrogne tiré à quatre épingle. Le seigneur des bars à putes, mister Partouze number one, le baiseur hors-norme, le queutard né, le Don Juan des couches-culottes et des yaourts allégés. » Après la guerre, la guerre continue…
in L'Opinion indépendante, le 21/09

dimanche 16 septembre 2007

La charge de Taillandier

Il faut lire François Taillandier. Tout Taillandier. Ses romans comme Des hommes qui s'éloignent, Anielka, la suite "La grande intrigue" avec, déjà publiés, Option Paradis, Telling, Il n'y a personne dans les tombes. Ses essais sur Borges et Aragon. Son Journal de Marseille. Il ne faut pas oublier de lire, tous les jeudis, ses chroniques données à L'Humanité. Il y scrute les tristes temps où nous vivons, ne laisse rien passer de la saloperie à l'oeuvre, rend les coups avec l'élégante classe de ceux qui n'ont plus rien à perdre. Des charges terribles à ne pas manquer :

"Je crois que j’ai trouvé quelque chose à propos de ce nouveau style présidentiel qui intrigue la France, avant de lui casser les pieds (ce qui, à mon avis, ne tardera sans doute pas). Ce style qui sert à dire à tout instant : voyez, je suis infatigable, ultra performant, toujours sur la brèche, je suis un battant, un concentré d’énergie active, un hyper-manager en acier trempé. Ce style, mais voyons, c’est le style déjà vieux, déjà ringard peut-être, de l’entreprise moderne, qui ne parle qu’excellence, performance, compétitivité, voire même, dans ses grands moments créatifs, hyper-réactivité hi-speed (si, si ! ça existe !). C’est ce discours cynique et lyrique qui dit adaptez-vous, mobilisez-vous, faites-en toujours plus ! C’est le mot d’ordre au nom duquel le cadre stressé par l’obsession du résultat tremble d’angoisse au lieu de dormir, quand il ne se sustente pas aux anxiolytiques ou aux amphétamines. C’est le mot d’ordre au nom duquel il fabrique sa dépression et de temps en temps son suicide. C’est le mot d’ordre imposé à des peuples entiers, désormais coupables s’ils regimbent devant les impératifs d’une mondialisation capitaliste menée à coups de casse sociale. C’est un style qui cherche à nous dire : nous ne devons pas seulement nous soumettre, nous devons en être heureux. Nous ne devons pas seulement en baver, nous devons clamer que nous aimons ça. C’est le discours déjà éculé d’un capitalisme qui, n’ayant longtemps demandé à ses salariés que leur force de travail, a, dans la dernière période, voulu aussi leur âme."

Ces hommes sont dangereux







"Les cons, ça ose tout. C'est même à ça qu'on les reconnaît." Michel Audiard

vendredi 7 septembre 2007

Jean-Claude Michéa dixit

La logique du libéralisme politique et culturel ne peut conduire qu’à une nouvelle guerre de tous contre tous, menée cette fois ci devant les tribunaux, et par avocats interposés. Tel plaideur exigera donc la suppression des corridas, tel autre la censure d’un film antichrétien, un troisième l’interdiction de Tintin au Congo ou de la cigarette de Lucky Luke. Ce processus logique est évidemment sans fin [...] Le droit libéral est donc contraint de légiférer à l’aveugle, c’est-à-dire en fonction des seuls rapports de force qui travaillent la société à un moment donné et qu’on nomme généralement « l’évolution des moeurs » comme s’il s’agissait d’un chapitre particulier de l’évolution des espèces. Aujourd’hui, donc, l’interdiction du tabac ; demain, sans doute, la légalisation des drogues ; et, peut-être, dans un avenir très proche, les deux en mêmes temps [...] Cette dérive est, en réalité, inscrite au coeur même de la logique libérale dont la gauche moderne, il est vrai, constitue l’incarnation politique la plus cohérente. Une société refusant par principe tout statut politique à l’idée de common decency est, en effet, inévitablement conduite à vouloir tout trancher par le droit. Or du point de vue du droit libéral, le seul critère « technique » pour juger de la légalité d’une opinion ne peut être que son caractère « nuisible » ou non. De là, la tendance inéluctable des sociétés libérales contemporaines à interdire graduellement tout ce qui est jugé « politiquement incorrect » selon les rapports de force du moment. C’est ainsi que l’on glisse, sans la moindre solution de continuité, des idées généreuses d’un Constant ou d’un Tocqueville à celles d’Act Up ou des Indigènes de la République. Et encore, je ne parle pas ici de la tentative récente, et provisoirement avortée, de constitutionnaliser le libéralisme au niveau européen c’est-à-dire d’en criminaliser à terme toutes les contestations pratiques. Je ne m’oppose donc pas au système libéral au nom du caractère purement « formel » des droits qu’il accorderait. De ce point de vue, je suis résolument anti-léniniste. Je le critique d’un point de vue démocratique radical, ou, si l’on préfère, anarchiste, en raison des menaces croissantes qu’il est logiquement conduit à faire peser, à terme, sur les libertés démocratiques les plus élémentaires.
in Le Point, le 05/09