jeudi 18 décembre 2008

Trou de Val

















Philippe Val a deux défauts principaux : il pense bien - le bon, c'est lui ; la brute et les truands, c'est les autres ! - et il écrit mal.
Comme personne ne se permet de le lui dire, il continue de s'inviter sur les plateaux Télé pour postillonner ses diktats et de publier quelques dépliants indigestes : Vingt ans de finesse avec son compère chansonnier, ami des grands et surtout des petits, Patrick Font, Traité de savoir-survivre par temps obscurs où, plus crétin que facétieux, il confondait la philosophe Simone Weil avec l'ancienne ministre Simone Veil, et le dernier, au titre beau comme du Claude Sarraute d'antan : Reviens Voltaire, ils sont devenus fous.
Pourquoi coincer Voltaire, le pauvre, dans un tel traquenard ? Val croit tenir, non pas son "Affaire Calas", mais deux affaires du même tonneau qui le transforment illico en rempart démocratique contre le fascisme rampant : la publication, dans Charlie-Hebdo, de caricatures de Mahomet et le renvoi, pour antisémitisme larvé, de Siné.
Evidemment, quelques associations musulmanes ont fait un procès qu'a gagné facilement un Val soutenu par tous les pieds-pensants hexagonaux - de Sarkozy à Bayrou, en passant par François Hollande. Evidemment, Siné a lancé une poignée d'insultes qui firent la joie, un court moment, de l'opinion. Pas de quoi en faire une "nervous breakdown" aurait dit Audiard.
La France avait-elle besoin d'un Zorro, d'un Voltaire ou, même, d'un Sartre pour prendre sa défense ? Que nenni. Elle avait mieux : Philippe Val, le Zéro de la République, léger comme une grosse Bertha ou un Béhachèle : "Reculer sur des principes aussi fondamentaux que l'anti-intégrisme et l'antiracisme, à long terme, c'est ouvrir une voie royale à la fois aux intégristes et aux racistes."
Plutôt qu'un rempart, Val apparaît comme un trou où tout tombe à plat : les intentions, la réflexions, les mots. Une dernière descente, pour la route : " La mutation de l'humanité par l'accroissement de ses libertés bouleverse et bouleversera de façon irrémédiablement irréversible les arts, la politique, l'amour, l'amitié, la sexualité, les langues..."
Allo Charlie bobo, le fou, c'est Val !
Philippe Val, Reviens Voltaire, ils sont devenus fous, Grasset, 295 pages.

Papier paru dans Service littéraire, le 18/12/08.

Le site ouèbe de Service littéraire, journal dirigé par l'excellent François Cérésa : http://www.servicelitteraire.fr/

vendredi 12 décembre 2008

Au vol













_ Je vous aime mademoiselle.
_ Moi, je t'adore.
_ On adore que Dieu !
_ C'est drôle, ça me rappelle mon enfance.
_ Si vous ne m'aimez pas, je ne vous aime pas non plus ...
_ Tu es drôle mais, parfois, tu es bête.
_ Je suis drôle, bête et gentil.
_ Non, tu n'es pas gentil. Tu es beau, intelligent, pervers, cynique, doux, violent et quelques autres qualités mais tu n'es pas gentil.
_ Vous avez raison.
_ J'aime quand tu dis que j'ai raison.
_ J'ai décidé de ne plus te voir.
_ Ne me fais pas ça. Je tiens trop à toi ...


L'enfer du Nord

Qui est Gina, l’étrange héroïne de La langue chienne d’Hervé Prudon ? C’est le genre de fille qu’on rencontre au mariage d’une lointaine connaissance : «Elle avait quelque chose d’une petite bohémienne qui attend en janvier je ne sais quoi à la porte d’un supermarché dans une tache de soleil.» Entre mousseux tiède et blagues lourdaudes, elle tape dans l’oeil de Martin, dit Tintin, qui délaisse sa périphérie parisienne pour la suivre. Direction le Nord, un lopin de France où la joie a pris la poudre d’escampette. «Enfant de la classe moyenne, avec toute une éducation à refaire», Tintin essaie de délimiter, par les mots, l’étendue du désastre : «Cette Côte d’Opale – eau pâle tu parles ! - sent la moule noire et le mazout […] Le ciel blindé vous pleut de la balle dumdum chemisée métal, vous troue la tête et plombe le dos.» Gina, elle, préfère œuvrer dans le raccourci : «A part le cul et la bière, y a rien pour réchauffer les pauvres.» Le «cul», Gina le pratique un peu avec Tintin ; beaucoup avec Franck, son amant à domicile. Un drôle de ménage à trois sur fond d’ennui, de parties de Barbecue et de télévision allumée non-stop.
Le bal des paumés
Franck, gros bras et champion de char à voile, se moque de Tintin, l’appelle «Bourvil». Quand il le trouve trop bavard, il frappe. Tintin pense alors à son père, «un petit bonhomme de Sempé», se souvient d’une fugue de Gina quand le bonheur se rapprochait : «Le bleu coulait de ses yeux comme le sang noble d’une blessure.» Pour qu’infusent les douleurs, il s’enfuit sur les dunes, récite au vent des vers de Saint-John Perse et de Blaise Cendrars : «Ce n’est qu’une enfant, blonde, rieuse et triste,/ Elle ne sourit pas et ne pleure jamais». Le soir, c’est pourtant à côté du chien que Tintin s’endort.
Dans La langue chienne, l’amour et la haine se mêlent indistinctement. Il n’y a ni bons, ni mauvais, seulement des paumés qui cauchemardent un ailleurs impossible comme le font les clandestins de Sangatte. Le souvenir mal éteint d’un bébé mort-né et la violence tapie dans les corps imprègnent l’histoire d’une odeur de drame inéluctable. Rien d’étonnant : «C’est juste que le fait-divers sordide est au Pas-de-Calais ce que la tragédie antique est au Péloponnèse.»
De retour à la Série Noire – il y a déjà publié, notamment, Mardi gris, Nadine Mouque et Tarzan malade –, Hervé Prudon arrive avec, dans son baluchon, ce que nous avons toujours aimé chez lui : un désespoir d’enfant triste et une rage cabossée où l’humour torpille le langage. Les armes du poète célinien quand, se cognant à la réalité la plus noire, il tire ses dernières cartouches : «On se retrouve au bout de quelque chose, navré, désarçonné, sans arguments, de retour de croisade, on a perdu sa foi. On a vu le soleil en face, Byzance. On est à la fin de quelque chose et, à la fin des fins, il n’y a même pas de fin, et le ciel s’en va, au vent mauvais, raflé, déporté, comme ces convois de nuages plombés d’ouest en est.»
Hervé Prudon, La langue chienne, La Série Noire, Gallimard, 2008.
Article paru dans l'Opinion indépendante, le 12/12/08.

vendredi 5 décembre 2008

Barbey d'Aurevilly face à l'époque

Dans une France qui n’aime rien mieux que les commémorations, le bicentenaire de la naissance de Jules Amédée Barbey d’Aurevilly est célébré avec discrétion. On peut regretter, notamment, que les éditions de la Table ronde n’aient pas réédité Talon rouge d’Arnould de Liedekerke, la plus fulgurante des évocations du natif de Saint-Sauveur-le-Vicomte. La trajectoire complexe de Barbey - mêlant dandysme, libertinage et apologie du trône et de l’autel - ainsi que ses excès de foi semblent déranger, aujourd’hui comme hier. Un texte vient éclairer cette gêne durable, trouer le silence et situer avec exactitude l’auteur des Diaboliques ou d’Une vieille maîtresse, dans l’Histoire et dans les temps tièdes où nous vivons : Un réfractaire – Barbey d’Aurevilly, de François Taillandier.
L’art de la vérité
Taillandier est entré dans Barbey par l’enfance, celle des collégiens en pension du début des années 70 : «C’est là, un matin de fin d’hiver, que je dévore en douce L’Ensorcelée, ouvert sur mon manuel de physique, dans la collection de poche Garnier Flammarion.» Une belle image mais, surtout, un lointain souvenir quand, des années plus tard, Taillandier se replonge dans «Le Dessous de cartes d’une partie de whist», l’une des nouvelles des Diaboliques dont la lecture est soudain, pour lui, édifiante. A la lumière d’un fait-divers – l’empoisonnement d’une enfant –, la réalité se mâtine de faux-semblants, provoquant une vérité hésitante qui ne se dévoile que dans les méandres successifs du récit.
En 1997, en écho, Taillandier ouvre son roman Des hommes qui s’éloignent par une interrogation fondamentale : «Que se passe-t-il, que se passe-t-il vraiment ?». Pour lui avoir inoculé cet art de mettre en joue l’histoire qu’on retrouve dans les trois premiers tomes de La Grande Intrigue (saga romanesque en cinq volumes initiée en 2005), Taillandier salue Barbey d’Aurevilly, qu’il place à côté d’autres grands inspirateurs : «Balzac, oui ; Aragon, oui ; Borgès, oui. Mais Barbey ? Il revenait prendre place dans le panorama comme une sorte de vieux cousin fantasque ou de pittoresque oncle par alliance, qu’on a vu trois fois quand on était petit et dont on apprend un beau jour qu’il vous a légué sa maison.»
Un anti-moderne
Dans Un réfractaire – Barbey d’Aurevilly, Taillandier se ballade donc dans une vieille demeure familiale. Les œuvres sont là, lui parlent de leur auteur et de son rapport à l’époque. Dans Les prophètes du passé, Barbey évoque ainsi «des économistes effarés devant cet abîme du désir forcené de la richesse, qui se creuse de plus en plus dans le cœur de l’homme, et ce trou dans la terre qui s’appelle l’épuisement du sol.» Avec Une vieille maîtresse et Les Diaboliques, il met en scène des héroïnes dont la sensualité scandalise et dont la quête amoureuse passe par la jouissance et par la destruction. Taillandier avoue son trouble devant la Vellini, «une petite femme, jaune comme une cigarette, l’air malsain». Il partage moins l’intérêt «régionaliste» de Barbey pour la Normandie, au cœur des trois romans «de l’Ouest» : L’Ensorcelée, Le Chevalier Des Touches et Un prêtre marié. Il dresse surtout le portrait d’un homme fulminant sur les décombres de son siècle, un réfractaire dont Taillandier donne la plus éclatante des définitions : «Le réfractaire change de visage selon l’époque. Etre réfractaire est une vocation, une fatalité, ou peut-être plutôt un trait de caractère, une «affection». Une tare d’enfance. D’instinct, le réfractaire s’éloigne de ce qui prédomine. Ce n’est pas telle ou telle idée qui l’horripile : c’est le fait qu’elle soit reçue sans plus être examinée. Le réfractaire est libertin sous Louis XIV, émigré sous la Convention, bonapartiste sous Louis XVIII. Vers 1900, il est chrétien enragé, comme Léon Bloy, ou alors il se moque de tout, comme Alphonse Allais. En 1940, il est gaulliste. Il se refuse en tout cas aux génuflexions d’usage, aux lieux communs du temps, convaincu que partout et en toute occasion, ce à quoi la majorité adhère aisément devient ipso facto une imbécillité ou un mensonge. Il s’arrange immanquablement pour se placer où c’est intenable, où personne ne le comprendra ni le suivra, où les malentendus s’accumuleront, et les coups pleuvront sur la tête : il s’appelle alors Aragon ou Pasolini.»
De Barbey d’Aurevilly, qui écrivait «Je suis destiné à faire de la littérature inacceptable», à François Taillandier : le combat continue.
François Taillandier, Un réfractaire – Barbey d’Aurevilly, Bartillat, 2008.
Article paru le 05/12/08 dans L'Opinion indépendante.

lundi 1 décembre 2008

La nostalgie des Blondes

Quand elle a froid
En terrasse
L’hiver
Elle boit du vin chaud
Fume lentement
Des cigarettes
Blondes
Comme les héroïnes
Qu’il aime
Dans les films
D’Hitchcock
De Woody Allen
De Cronenberg
De James Gray
Elle parle
D'elle
De lui
Des frôlements enfuis
Elle a un rire enchanteur
Où se mêlent
L’enfance
La joie
L’envie
L’extrême sensualité
La peur
La peur ?
D’être aimée
Comme elle aime
Comme elle le mérite
Follement

jeudi 27 novembre 2008

Gégauff's girls (2)







Pour oublier le MODEM
Dans le désordre
Encore Jacqueline Sassard
Encore Stéphane Audran
La sensualité extrême des biches
Bernadette Laffont
Laura Antonelli
Romy ...








mercredi 26 novembre 2008

Kléber Haedens devant les cochons

Kléber Haedens, écrivain magnifique, passionné de jazz, de rugby et de la Petite Reine, copain de Blondin, de Jacques Laurent, de Nimier, va donner son nom à un collège de La Garenne-Colombes.
Belle idée, les gamins liront Adios, roman d'amour, roman crépusculaire dont les premiers mots nous entraînent à l'Arms Park de Cardiff, lors d'un France-Galles d'anthologie. Les gamins liront aussi L'été finit sous les tilleuls, dont le titre est une douce incitation aux dérives d'après minuit.
Belle idée ? Pas pour les infirmes du MODEM de La Garenne-sur-Colombes. Les oranges pourries se mobilisent, se pissent dessus de trouille, la démocratie est en danger, le fascisme serait aux portes de la ville. Ils lancent donc - ces biroutistes, ces trous de balle mal centrés, ces naulleau, ces bègues, ces épurateurs syllabiques, bref : ces centristes ! - un appel Républicain (http://www.la-garenne-democrate.com/kleber-haedens/).
Extrait 1 :
"La Garenne-Colombes pourra t’elle s’enorgueillir d’avoir un établissement scolaire qui porte le nom de celui qui fut "le plus dévoué" des anciens secrétaires particuliers de Charles Maurras, l’ami et collaborateur de Xavier Vallat (ex-commissaire aux questions juives du régime de Vichy), et l’un des membres de l’OAS ?"
Putain, ils sortent d'où ces flics tendance Casimir ? Elles ont été piochées où ces infos qui puent la délation post-mortem ? Au MODEM de La Garenne-Colombes, l'Histoire est belle comme un discours de Bayrou, c'est-à-dire qu'uen syllabe sur deux est bouffée par l'ignorance mêlée à la plus crasse des suffisances.

Extrait 2 :
"De manière plus générale, est-il bien pertinent d’avoir donné à ce collège le nom d’un écrivain qui, dans son ouvrage le plus connu, Une Histoire de La Littérature Française, contribue largement à diffuser la théorie du "nationalisme intégral’ qui devait inspirer la Révolution Nationale de Philippe Pétain ?"
Radio-MODEM ment ! Radio-MODEM ment ! Ou alors les trouffions à rollers et écharpes ridicules ne savent pas écrire. Les deux ? Les deux !
Si on lit bien : un livre publié en 1943 est porteur d'une idéologie qui inspirera un régime politique instauré en ... 1940.
Haedens était vraiment très fort. Pétain, c'est lui et c'est son Histoire de la littérature. Pétain, c'est donc une certaine idée de la langue française où Beaumarchais est à la fête, Laclos aussi, sans oublier Chateaubriand, Stendhal, Flaubert et les poètes : Baudelaire, Corbière, Verlaine, Apollinaire, Toulet, Aragon, j'en oublie.
C'est du Pétain, ça, bande de fientes ? C'est du "nationalisme intégral" ?
La réponse, comme une flaque de bave dégoulinant des lèvres :

_ Mais il était de droite, Haedens, Action française. Il aimait Drieu, Céline, les Hussards...

La droite, la gauche : merde au MODEM ! De mémoire, voici ce que répondait Blondin à ce type d'accusation : "Ils disent que nous sommes de droite parce qu'ils n'arrivent pas à nous mettre à gauche."
Il faut toujours croire Blondin sur parole, comme il faut lire Drieu, Céline, les Hussards et Kléber Haedens - tout Haedens, en commençant, pourquoi pas, par l'Air du pays, recueil vivant comme un herbier.
Lire Haedens, saluer la décision prise de donner ce beau nom du Sud-Ouest à un collège et conchier longtemps les ratés du MODEM, ce parti de porcs ignorants, insulte vivante faite aux cochons chez lesquels, on le sait, tout est bon.
Au MODEM de La Garenne-Colombes, le plus zéro des zélus est interdit de boucherie : cerveau non irrigué, viande avariée.

jeudi 13 novembre 2008

Deborah, too late

J'aime imaginer que Deborah Unger lit,
après l'amour,
Paul-Jean Toulet
qu'elle prononce "Too late"
pour faire plaisir au poète.
Elle lit :
"Quoi, c'est vrai, tu m'aimas, qui de moi fus aimée ?
Amour, divine flamme ; amour, triste fumée ..."
Elle lit :
"Dans Arles, où sont les Aliscams,
Quand l'ombre est rouge, sous les roses,
Et clair le temps,
Prends garde à la douceur des choses,
Lorsque tu sens battre sans cause
Ton coeur trop lourd,
Et que se taisent les colombes:
Parle tout bas si c'est d'amour,
Au bord des tombes."
Deborah lit et se dit,
comme moi,
que les mots de Paul-Jean
sont le plus précieux des cadeaux,
quand les sens vrillent,
pour les jeunes femmes blondes à la peau pâle.

mercredi 29 octobre 2008

Photo floue

"Tant de fois, nous nous sommes croisés", dit-elle.
Il lui répond oui.
Il lui parle de ses fuites, de la nécessité des fugues.
Elle ne l'écoute plus.
Ce n'est pas grave.
Elle ne sait pas que, passante fragile,
Elle l'a retenu
par l'électricité de ses sourires
par l'appel des frissons
par le grain chaud de ses doigts
par sa nuque claire comme l'esquisse
d'une lame.
Elle ne sait pas.
Ce n'est pas grave.

vendredi 10 octobre 2008

Une partie de plaisir

1975
Chabrol derrière la caméra
Gégauff au scénario, aux dialogues
La beauté des silhouettes
La noirceur de l'âme
L'amour pris sous les tirs croisés

mardi 7 octobre 2008

Le talentueux Mr. Gégauff

Paul Gégauff aimait les mots, la pêche au gros, l'alcool et les femmes. Les paysages aussi, ceux d'Ouessant, île sauvageonne de la fin de la terre où il s'exilait quand il voulait arrêter de boire, laisser le vent décider.
Dandy élégant et poète attaquant au couteau la "vie sordide", il fait penser à Paul-Jean Toulet.
Le 11 mars 1980, il légendait ainsi son autoportrait : "Quand je pense que je regretterai cette gueule dans dix ans ..."
Paul Gégauff a publié quatre romans entre 1951 et 1958 : Les mauvais plaisants, Le toit des autres, Rébus et Une partie de plaisir. Au catalogue des Editions de Minuit, il voisinait à l'époque avec Georges Bataille, Jacques Brenner, Henri Calet. Un peu d'électricité dans le Butor, de flamboyance dans le Duras, ce qui plut à Roger Nimier : "Les qualités de Paul Gégauff sont : le cynisme, le sens de la drôlerie, un style vif où la pensée saute d'un mot à l'autre comme une puce."
Paul Gégauff : le hussard dans les écuries du Nouveau roman.
Romancier de talent, il devient scénariste/dialoguiste de génie, l'Arsène Lupin du 7e Art. Parce que "Le cinéma, c'est du pognon, il faut bien le dire." Et du pognon, il lui faut pour flamber, sortir les plus jolies filles, descendre de bonnes bouteilles, ne rien faire.
Paul Gégauff s'appelle aussi René Clément, Eric Rohmer, Claude Chabrol ou Jean-Luc Godard qui lui doivent, dans les années 60/70, leurs meilleurs films et une poignée de personnages hors-norme. Il leur donne ses plus belles répliques, puis dézingue en souriant : "La chose la plus dominante chez Godard : obsédé sexuel. Myope et obsédé sexuel. Momo : pas myope mais également obsédé sexuel, sur un autre plan. C'est tous les deux des zombies, tous les deux rêvent sur des filles dans des cafés. Ils se ressemblent sur plus d'un plan. Rivette : autre obsédé sexuel, mais alors lui, complètement inoffensif ! Chabrol : pas obsédé sexuel, mais alors pas du tout !"
La Gégauff's touch : Plein soleil, Les cousins, Les bonnes femmes, Les biches, Que la bête meure, Les novices, Docteur Popaul, More, La vallée, mais aussi, alors qu'il est définitivement grillé - alcoolisme ininterrompu, mauvais esprit permanent, esthétisme décadent - aux yeux des "professionnels de la profession" : Brigade mondaine, la secte de Marrakech, Les Folies d'Elodie, Frankenstein 90 et Ave Maria.
Des vieilleries, des nanars ? Le bordel coloré d'un fou qui fait sonner la langue française sur les décombres d'une bourgoisie pas encore crevée.
Ses mots sont des balles mortelles dans la bouche de Jean-Claude Brialy, Jean Yanne, Jean-Louis Trintignant, Jean-Paul Belmondo, Alain Delon ou Maurice Ronet. Ses mots sont un peu de rouge sur les lèvres de Marie Laforêt, Romy Schneider, Brigitte Bardot, Stéphane Audran, Jacqueline Sassard, Monica Vitti, Caroline Cellier, Laura Antonelli, Marcha Grant, Carole Chauvet ou Isabelle Pasco.
Silhouettes célèbres ou oubliées du temps qui passe.
1969 : année érotique où Gégauff publie son dernier livre, un recueil de nouvelles : Tous mes amis. C'est un régal de noirceur, c'est chez Julliard. Du côté de chez Sagan, pas étonnant.
Que rajouter ? Un peu de poussière. Dans son Journal, Jean-Patrick Manchette nous montrait Gégauff en train de trinquer, chez Castel, avec Antoine Blondin. Pour Bernadette Laffont, "C'était un génie, le Brian Jones de la Nouvelle vague."
Sa fin est un magnifique début de roman : « Paul Gégauf, soixante et un ans, écrivain et scénariste, a été assassiné de trois coups de couteau, dans la nuit du samedi 24 au dimanche 25 décembre 1983, par sa compagne âgée de 25 ans, à Ghoevic, en Norvège. La jeune femme, dont l’identité n’a pas été révélée, a reconnu les faits. »


dimanche 5 octobre 2008

Big is beautiful - Gossip

Nirvana + Standing in the way of control : ça déchire sa race et le dimanche !
Avec un Morgon de Marcel Lapierre, la joie automnale est totale.

vendredi 3 octobre 2008

Libérez Rouillan !

Un auxiliaire de police - pigeant à L'Express, journal des huissiers et des kinés - a demandé à Jean-Marc Rouillan : "Regrettez-vous les actes d'Action directe, notamment cet assassinat ( celui de Georges Besse, alors pédégé de Renault ) ?"
La réponse de Rouillan :
"Je n'ai pas le droit de m'exprimer là-dessus... Mais le fait que je ne m'exprime pas est une réponse. Car il est évident que si je crachais sur tout ce qu'on avait fait, je pourrais m'exprimer. Mais par cette obligation de silence, on empêche aussi notre expérience de tirer son vrai bilan critique."
La réponse de Rouillan n'est ni un crime ni un délit. La réponse de Rouillan, au contraire, est d'une perfection exemplaire. Dans une époque où un mea culpa se doit d'être public - sinistre manière de se pisser dessus et de s'humilier devant le plus grand nombre -, Rouillan se tait. Parce que la justice lui a enlevé le droit d'évoquer une part capitale de son histoire. Parce que la complexité intime d'un condamné est incompréhensible pour les pieds-pensants qui, partout, ont pignon sur rue. Parce que 20 ans de prison lui ont appris à s'armer de silence face à un temps qui veut sa peau.
Pour avoir donné cette réponse, Rouillan s'est pourtant vu notifier la fin de son régime de semi-liberté. Rouillan passe, de nouveau, ses journées en tôle.
A droite, à gauche, on se réjouit. A droite, à gauche, les crapules feraient mieux de fermer leur gueule : leur haleine pue.

"Lyrisme post hussard" II

Elsa s’était postée au comptoir boisé du bar. Elle avait retiré manteau et béret. Le regard absent, elle croisait de longues jambes où s’enrouler. Dans le verre qu’on venait de lui servir, les couleurs s’amusaient à brouiller les pistes. Du jaune, du blanc, un peu de glace. Un Gin-Fizz, sans doute.
Bastos aux lèvres, Théo la découvrit de profil. Son visage avait une pureté de poupée gothique. Elle portait un chemisier rouge incrusté de dentelles. Un crucifix en or appelait la prière à la naissance des seins. Une prière contenue par la fine attache blanche du soutien-gorge, sur l’étroite bande de peau révélée d’un glissement progressif. La fente de sa jupe noire captait toute la lumière du Bonnie and Clyde, laissant seulement un peu d’ombre pour des talons beaux et fins comme la nuit de ses bas.
Théo ne quittait pas Elsa des yeux. Ce qui existait autour d’eux était sans importance. Les couples attablés, les solitaires, les conversations : il s’en tapait. Seules comptaient, à ce moment précis, les lèvres d’Elsa.
Au son d’une mélodie black, elles s’animèrent avec la délicatesse d’un brin de lilas. Une chanson douce et triste que Théo interrompit en s’adressant au barman.

_ Une bouteille de Martini et une bouteille de Gin. Et quelques friandises pour mademoiselle.

Elsa tourna la tête vers Théo. Elle le dévisagea de ses yeux de chatte aux paupières mi-closes, tout en sortant une marlboro de son paquet blanc. La cigarette allumée, elle dégaina d’un sourire mutin :

_ Je vous ai amené où vous vouliez ?

La voix d’Elsa était le prolongement de son sourire. Elle se gorgeait d’une joie enfantine et séductrice sur laquelle passait un voile rauque.
Son verre à la main, Théo répondit simplement :

_ Je suis chez moi là où la grâce se pose.

Elsa éclata d’un rire très tendre. Elle rappellerait souvent cette phrase à Théo. Ca l’avait touché plein cœur. Les hommes, d’ordinaire, l’entretenaient peu de la grâce. Elle avait aimé le mot et la manière qu’avait eu Théo de le prononcer, avec sincérité et arrogance.
Grillant cigarettes sur cigarettes, ils parlèrent comme s’ils se connaissaient depuis des siècles de séduction. Pas de longue présentation entre eux. Juste des mots en équilibre sur le mécano du désir.
Elsa aimait Heart of glass de Blondie et la vieille variété française ; Théo aussi. Elle ne ratait aucune des retransmissions de Rolland-Garros ; il pensait, chaque jour, à la volée de revers de John Mac Enroe. Elle ne lisait que des romans d’amour ; il affirmait que tous les romans étaient des romans d’amour. Elle était persuadée que le monde pouvait changer ; il haïssait la tolérance, ce vice des faibles et des imbéciles. Elle adorait enfiler, très lentement, des bas résilles ; il chérissait l’art de les retirer, tout aussi lentement. Elle jouait les provocatrices ; il esquivait les piques mouchetées avant de resserrer l’étreinte.

_ Vous avez bien fait de me suivre
_ Je n’avais pas le choix.
_ Pourquoi ?
_ J’avais soif.

Ils goûtaient tous les deux l’atmosphère des bistrots. Théo avait fait de ces lieux de plus en plus improbables le home sweet home de ses errances. Elsa y allait souvent boire un verre, en fin de journée. Toujours un Gin fizz. Seule ou avec une amie. Selon les jours, elle draguait, se faisait draguer. Si personne ne lui tapait dans l’oeil, elle rentrait chez elle se brancher sur des sites de rencontres.

_ J’y trouve toujours une partie de cul.

Les jeunes filles du XXIe siècle prisaient les sites de rencontre. Les magazines y consacraient de pleines pages. Les jeunes filles en parlaient facilement entre elles. Elles le racontaient aussi à quelques hommes, au détour de longues conversations, d'abord légèrement gênées puis plus assurées par l'intérêt qu'elles provoquaient chez leur interlocuteur.
Elsa avait dit ça très naturellement. Théo apprécia surtout la forme prise par ses lèvres quand elle prononça le mot « cul ». Même s’il avait du mal à comprendre qu’une jolie demoiselle se plante des heures devant l’écran de son ordinateur pour dégotter, après lecture des fiches produits, une queue éphémère. Au calibrage informatique, Théo préférait l’imprévu des apparitions impromptues. Dans la rue, les bars ou au hasard d’une soirée où règne l’ennui.

_ Ca vous plaît, la baise anonyme ?
_ Ca ne me plaît pas : ça me réchauffe.
_ Il y a des couvertures pour ça.

Surprise, Elsa répliqua calmement qu’elle aimait faire l’amour quand elle le souhaitait et qu’il était vraiment « Old school ».

_ C’est-à-dire ?
_ Un trentenaire qui ne veut pas vieillir et qui se cache derrière l’alcool, la fumée et les mots.
_ Je ne me cache pas : je suis près de vous.
_ C’est ce que je disais : vous jouez sur les mots.

Théo ne la contredit pas. Elle l’avait plutôt bien percé. Les mots étaient sans doute ce qu’il possédait de plus précieux. Avec la mémoire obsédante de la peau des femmes, que l’alcool et la fumée paraient d’un masque de brume.
D’un regard, il encouragea Elsa à poursuivre. Elle passa en revue des figures d’inconnus consommés à la va-vite. Pendant qu'elle parlait, elle jouait avec son crucifix, le caressant, le mordillant l'instant d'un silence. Théo fixa ses mains puis ses lèvres. Elle s’interrompit et lui jeta, telle une excuse, qu’elle n’était pas croyante.

_ C’est dommage.

Théo voulait surtout lui signifier qu’elle n’avait aucun compte à rendre, qu'il ne fallait pas s'arrêter. Elle parut chanceler sur son tabouret américain. Fragile comme après une gifle inattendue. Elle se sentit encore obligée de se justifier.

_ Je trouve ça beau un crucifix. Ça me protège …

Théo n’insista pas, ne demanda pas contre quoi il lui fallait être protégée. Il sourit à nouveau, ce qui eut pour effet de faire disparaître le début de peur apparu sur le visage d’Elsa. Elle se rapprocha, son épaule taquinant la sienne, par instants plus appuyée.

_ J’aime votre manière de boire.

Elle parla ensuite de jouissance et de suicide. Dans de longues phrases où affleurait l’ivresse, elle charria pêle-mêle la lueur triste allumant parfois l’œil de Théo, le rictus enfantin alors pris par ses lèvres, les gestes sensuels et précis de ses mains et sa manière élégante de tenir un long corps dégingandé qui, de temps à autres, semblait prêt à se casser sous le poids du mépris qu’il affichait.
Du « vous », elle passa au « tu » :

_ Tu as la gueule de quelqu’un qui ne dort pas beaucoup.

Depuis huit mois qu’il ne vivait plus avec Constance, Théo avait souvent entendu cette remarque. Avant de décider de s’en aller, Constance désirait une grosse voiture, un bébé et une grande maison. Elle voulait ce qu’elle avait nommé des "preuves d'amour", précisant : « C’est ça ou c’est fini ! » Les grandes blondes ont souvent de drôles d’envies. Théo n’avait rien répondu, s’était enfoncé dans la nuit. Constance lui avait signifié leur rupture par mèle. Quatre ans d’amour vache liquidé d’un clic de souris.

_ Je joue à cache-cache avec la lune.
_ Ca veut dire quoi ?
_ Que je n’en fais qu’à ma fête …
_ Ta bouche est très sexy.

A cet instant, Elsa attendait que Théo l’embrasse. Plus tard, elle avouera qu’elle avait été surprise. « Il est timide », pensa-t-elle. Ca lui parut bizarre. Théo n’avait pas du tout l’air timide.
Il était minuit passé. L’alcool commençait à taper les neurones. Théo se resservit un verre en appelant Elsa « ma jolie pute en rouge ». Elle grimaça – une grimace adorable.

_ L’air offusqué te va à ravir.

Elle fit semblant de n’en rien croire :

_ Tu me prends pour une pute ?

Théo lui parla des putes. Celles qu’il payait, rue Saint-Hélier ou avenue Louis Barthou, pour laisser la langue de la rue cracher sa salive sur l’ennui. Celles qu’il ne payait pas, dans des maisons bourgeoises ou des studios d’étudiantes, pour pouvoir quand même toucher l’aube en mortelle compagnie.
Elsa ne voulut pas en entendre davantage. Elle n’était pas ce genre de fille. Il était misogyne, horriblement méprisant. Elle se demandait ce qu’elle faisait encore près de lui.

_ Et puis arrête de sourire ! Ce n’est pas du tout drôle ce que tu me racontes !

Théo conserva son sourire, lui demanda de se calmer et de le laisser terminer. Ses histoires de putes étaient drôles et tragiques, plus drôle et plus tragique que ce qui pouvait se passer sur un site de rencontre. Elsa possédait justement la classe, drôle et tragique, des amazones qui mettent leur vie à la portée d’une bite et d’une barbe de trois jours. La classe d’ une danseuse du macadam.
Elsa retrouva le sourire. La danseuse l’enchantait et remisait la pute aux oubliettes de la soirée.

_ Chez moi, je mets la musique, je pousse le volume à fond et je danse en me regardant dans un miroir…

Elsa raconta ses premiers cours de danse classique. Elle avait commencé, à huit ans, au conservatoire de Rennes. Elle y allait les mercredi et les samedi après-midi, son tutu et ses pointes rangés dans un sac à dos noir et blanc en forme de panda. Quand elle se présenta avec ses hanches et ses petits seins déjà joliment arrondis, le professeur la trouva un peu vieille. Le discours habituel du professeur de danse : toujours trop vieille, trop grosse, trop maigre, pas assez souriante, pas assez souple. Elsa passa outre l’indécent jugement.

_ Pendant longtemps, j’ai été la plus douée, la plus en vue dans les ballets de fin d’année. Puis j’en ai eu ma claque. De la prof, des jalousies. J’ai arrêté le classique. J’ai commencé le modern-jazz en entrant au lycée. J’y vais encore, parfois, quand je ne veux plus danser seule devant ma glace…

Théo la coupa dans son récit :

_ La danse, c’est l’enfance qui dure.

Il imagina Elsa sur scène, semblable aux fées en ballerines qu’il avait autrefois admirées en compagnie de sa mère, à Brest. La révélation enfantine du corps des danseuses. Son éducation à la beauté, dans l’obscurité feutrée d’un théâtre, au point de rencontre de la rue de Siam et de la rue Jean Jaurès. Un poignet, un coude bougent. Les jambes se croisent, dénouent les vieilles offenses qu’elles effacent d’un mouvement miraculeux.
La suite eut le délié nerveux d'un sprint. Elsa recommanda un Gin-Fizz, grignota une olive verte avant d’arracher une page de carnet sur laquelle elle griffonna quelques mots. Elle plia la feuille, vida son verre et, d’un coup d’aile, s’enfuit. A peine le temps pour Théo de tourner la tête, de recevoir un baiser léger à la commissure des lèvres, cet endroit unique doux comme une promesse.
Elsa s’était envolée comme un petit rat quitte le rond de lumière de la poursuite, se retire dans sa loge. Pour changer de tenue, déguster un verre de Pouilly, inspirer quelques effluves de brouillard avant le rappel.
Resté seul au comptoir, Théo déplia la feuille. Y était inscrit un numéro de téléphone portable. Suivi de « A très vite ». Signé « Ta jolie pute en rouge ».
Bien plus tard, il devait être trois heures du matin, il la rappela :

_ Tu as oublié ton béret.
_ J’ai fait exprès…
_ Dis-moi quand je t’embrasse.
_ Maintenant.

Les paradis perdus de François Bott

Le vélodrome d’Hiver appartient aux mythologies françaises si chères à Roland Barthes. Situé à l’angle du boulevard de Grenelle et de la rue Nélaton, c’était le théâtre des légendaires «Six jours de Paris», course cycliste sur piste où, par amour des champions, le mondain et le populo s’époumonaient de concert : «Vas-y mimile, Vas-y Léon, Vas-y Gégène, Vas-y Toto, Vas-y Bébert …»
Le Vel’d’Hiv’ donne aujourd’hui son nom à un beau roman de François Bott. En fin connaisseur d’Henri Calet, l’auteur délicat des Etés de la vie aurait pu écrire en exergue de son texte : «Ne me secouez pas. Je suis plein de larmes». Les larmes de Bott sont celles d’une enfance légère dont la joie fut brutalement cognée un matin de juin 1942 : «J’ai cessé de trouver l’existence amusante lorsque […] j’ai vu Simon arriver au lycée avec une étoile jaune cousue sur sa veste. Je ressentais à la fois de l’étonnement, de la tristesse et de l’incompréhension. Il était marqué comme du bétail, avec cette infâme, cette horrible étoile.»
Vel’d’Hiv’ nous raconte, dans un style qui doit autant à Claude Sautet qu’à Roger Vailland, cette histoire de larmes et de joie.
Le chagrin au coeur
De retour de La Havane, un vieil homme flâne dans les rues de Paris : «Je suis, j’étais de la génération du jazz hot, de l’existentialisme et des apéritifs que l’on jouait au 421, sur le comptoir. Le genre de type ayant la nostalgie des porte-jarretelles, des matchs de football le dimanche et des écoles communales de jadis, avec des instituteurs sentant le tabac.» A la terrasse d’un bistrot, un visage entraperçu réveille le passé. Raymond croit reconnaître le docteur Segal, le père de Simon qu’il rencontra, en 1935, sur les bancs de l’école communale. Les deux garçons devinrent rapidement inséparables. Ils se prenaient pour Achille et Patrocle dans les recoins du vélodrome d’hiver, où le père de Raymond était concierge : «Le Vel’d’Hiv’ était notre Far West, le jardin de nos rêves, la cathédrale de nos chimères […] Nous étions des enfants du paradis, mais nous ne savions pas que celui-ci deviendrait assez vite notre paradis perdu et le pire des enfers
Le paradis, pour Raymond, ressemble à un été passé avec Simon et sa famille, à Houlgate, dans une villa remplie de livres. Le paradis a aussi le visage d’une douce créature au nom d’héroïne : Maria Teresa Rodriguez, jeune fille à la peau très mate, aux cheveux très noirs et aux yeux très verts. L’enfer, lui, surgit entre une évocation de Bouvard et Pécuchet ou du boxeur panaméen Al Brown, que Jean Cocteau comparait à un danseur, et des discussions familiales agitées sur les mérites respectifs de Léon Blum et de Maurice Thorez. L’Allemagne applique les lois racistes de Nuremberg, l’armée italienne envahit l’Ethiopie, Franco prend le pouvoir en Espagne, Daladier signe les accords de Munich. Il y a également ce qualificatif, «juif», que certains camarades de classe lancent, telle une accusation, à Simon. Viendra ensuite l’étoile jaune avant que, le 16 juillet 1942, des cris secouent le Vel’d’Hiv’ et tétanisent Raymond. Il ne reverra plus Simon ni son père, des personnages auxquels François Bott offre le plus beau des tombeaux. Avec lui, laissons le dernier mot à Georges Bernanos : «Certes, ma vie est déjà pleine de morts, mais le plus mort des morts est le petit garçon que je fus.»
François Bott, Vel’d’Hiv’, Le Cherche-Midi, 189 p. - Gina, La Table Ronde, Réed. «La petite vermillon», 93 p.
Article paru dans L'Opinion indépendante, le 03/10/08

mardi 23 septembre 2008

Marignac sur le ring

Le plaisir sur le ouèbe, c'est http://chroniquesmarignac.blogspot.com/
Marignac n'en fait qu'à son style, mots à l'assaut ou à la caresse.
Il parle de ce qu'il veut, traduit des poèmes inédits de Limonov, nous rappelle la première phrase d'un roman d'Hervé Prudon : "J’étais dans un compartiment fumeurs avec la plus belle fille du monde."
A lire urgemment, ces derniers jours, quatre textes beaux et violents comme l'étaient les enchaînements de Marvin Hagler :

lundi 15 septembre 2008

"Lyrisme post hussard" I

Au commencement était la peau d’Elsa.
Une peau de vingt et quelques printemps, légère comme de la chantilly sur la langue.
Une peau qui happa Théo Vailland, une fin d'après-midi de janvier, alors qu’il revenait de la faculté de droit et de sciences politiques. Il avait donné ses cours d’ « Histoire politique » avant de boire des demis avec Frédéric, son meilleur ami.
C’était à Rennes au début du siècle, une drôle d'époque où la fumée offrait encore ses reflets bleutés aux bistrots de France.
Dans les rues de la ville, l’hiver crachait son haleine givrée sur des corps toujours trop pressés. Place Hoche, des SDF avaient plantés des tentes surmontées d’écriteaux « Le froid, ça tue », « Le froid au goulag », « le froid, persona non grata ». Des inscriptions qui voisinaient avec une poignée d’ados en T-Shirts fluos se déhanchant sur une rythmique techno et des filles de l’Est en noir et blanc vêtues d’incandescents tangas, héroïnes glacées d’immenses panneaux publicitaires.
Sur l'esplanade du Parlement de Bretagne, Elsa apparut. Elle passait comme passent les héroïnes dans les films, dans les romans qu'on n’oublie pas : une fugitive silhouette découpant la nuit tombante. Elle ressemblait à beaucoup de filles, classiques beautés blanche et brune aimées rapidement, mais elle était de celles dont Théo tombe amoureux.
Il le sut tout de suite, dès qu’elle le frôla dans un trench rouge à la coupe serrée, bottée de cuir, un béret kaki recouvrant de lourdes boucles noires caressant les épaules. Son pas sur l’asphalte possédait l’éclat des banderilles. Elle avait aussi, à la lueur des réverbères, un joli regard de myope. Des yeux vert et noisette, avec un soupçon de gris, où la lune accrochait des secrets. Des yeux de prise d’otage, soudain braqués sur Théo qui, instinctivement, la suivit.
Elsa se livrait sans attention aux voitures plein phares. Elle se retournait parfois, ne le voyait pas.
Tous les projos étaient braqués sur elle.
Des projos pour son maquillage délicat, un peu de mascara sur la neige et un peu de rose qui souligne les lèvres. Des projos pour la courbe de sa nuque, la pointe de ses seins sous l’étoffe, ses cuisses esquissées.
Elsa était une piétonne exquise.
Rue Gambetta, Théo gagna du terrain tandis qu’une pluie glaciale pointait ses premières gouttes. Il allait s’approcher quand elle rajusta son béret et pénétra, place Saint-Germain, dans un café où il avait ses habitudes : le Bonnie and Clyde.

vendredi 12 septembre 2008

Dans ma gueule

"... surcharge d'adjectifs, lyrisme post hussard, pose romantique. C'est vu et revu. Soyez plus sobre, plus juste. Ne vous regardez pas écrire."

lundi 8 septembre 2008

Merde in France

Nadine Morano se déchaîne sur la piste de danse
Vidéo envoyée par anathemademax

Après les "crocs" de Bachelot, les questions de Morin et le bébé Dati : la flasque bidoche moranesque investit le dancefloor. On en est là ? On demande des Ossètes énervés pour mettre un peu d'ordre !

vendredi 5 septembre 2008

A la recherche du temps en fuite

A Cabourg, Jean revient sur les pas des étés de sa jeunesse. Il a laissé femme et enfants à Paris le temps d’un vagabondage loin de la lassitude et de la mauvaise humeur. A peine arrivé, il suit distraitement une femme dont le parfum – poivre et cannelle - l’attire. Quand elle se retourne, il reconnaît Garance, la petite amoureuse de son adolescence. A ses côtés, Jean va arpenter de nouveau une géographie sentimentale, qui n’a jamais cessé de le hanter, et se souvenir d’Yvonne.
Qui est Yvonne ? La mère de Garance et le cœur battant des Moustaches de Staline, roman dont la petite musique, mêlant grains de folie et ombres tristes, nous rappelle une chanson de Charles Trenet : « Que reste-t-il de nos amours / Que reste-t-il de ces beaux jours / Une photo, vieille photo / De ma jeunesse … »
Chez Cérésa, auteur qui se moque des genres et passe avec légèreté du roman historique à la chronique des amours défuntes, on croise Trenet, des écrivains infréquentables et Sagan, Chet Baker et la Callas ou encore des stars d’Hollywood, seules étoiles pouvant être comparées, dès sa première apparition, à la grâce pimentée d’Yvonne : « Elle portait un débardeur et un short rose. Moi, j’étais sur mon vélo, un peu en retrait, pétrifié. J’avais treize ans, elle vingt de plus. Elle ressemblait à Candice Bergen dans La canonnière du Yang Tsé. »
Les amours de jeunesse ne meurent jamais
S’il embrassait Garance, l’après-midi, au Club Mickey, Yvonne était l’unique obsession de Jean, comme elle obsédait tous les hommes de son entourage : Paul, son mari lunaire et caustique, Tom, son amant ex pilote de l’US Air Force, et une petite cour mêlant mondains, artistes et intellectuels. Trente-cinq ans plus tard, son obsession est identique. A chaque lieu revisité – une villa baptisée « la Colline », des dunes, un casino, le camping où lui, le fils de prolo, passait ses vacances – , Yvonne surgit avec la beauté détachée et un brin perverse des mannequins des années 70 : « Sur la plage, quand elle lisait Truman Capote, Fitzgerald et Graham Greene, elle portait un chemisier transparent, un bikini noir et des chaussures de tennis sans lacets. La pointe de son pied dessinait des cercles par terre. Eclaboussée de blondeur, elle restait ainsi. Pleine de mélancolie et de ferveur. Insaisissable et fulgurante. »
Tandis que Jean s’oublie dans le souvenir d’Yvonne – l’art qu’elle avait de mener son monde à la baguette de son charme-, Garance demande un baiser comme autrefois. Elle lui en veut de préférer sa mère. Elle en veut aussi à sa mère de lui avoir préféré les hommes. Elle s’attache à rectifier son portrait : « Ici, à Cabourg, dans ce paradis perdu qui avait été sa vie, son enfance, sa jeunesse, elle paraissait être à la recherche des mots les plus durs pour qualifier les sentiments les plus doux. »
Jean sait qu’Yvonne a semé la mort autour d’elle, mais il s’en moque. Sous la plume de Cérésa, l’héroïne de ses plus tendres saisons incarne un monde d’avant qui tire, avec style, ses ultimes cartouches, un monde où de jeunes femmes frivoles, parées d’un bikini blanc à pois rouges, pouvaient écrire un roman titré Trois jours en juin – salué par Jean Cau et Pascal Jardin- et où le jardin d’une villa en bord de mer était appelé : Les moustaches de Staline.
François Cérésa, Les moustaches de Staline, Fayard, 258 pages, 2008.
Article paru dans L'Opinion indépendante, le 05/09/2008

dimanche 31 août 2008

L'été pas mort

Chez soi, en terrasse, été pas mort.
Le temps des copains, muse , musette, pablo le chat.
Du rosé, du rouge pour moi, pétard pour les autres.
Je reviens lentement.
Les mots ? Ne pas entamer les neiges de l'avenir.
Chut, on est dedans, dans la carlingue.
La fin de la terre sommeillait sous le ciel gris.
Le soleil, quand il en avait envie, souriait.
Hussard82, blogueuse, a également un beau sourire. Le camarade Marignac a souvent raison.
Mais le plus beau sourire, c'est évidemment CCA, blogueuse aussi, bien plus surtout.
CCA est une belle amie, une blonde héroïne qui sait que l'amour est enfant de bohème et des grands boulevards.
Christian Authier tape fort avec Une belle époque.
Jérôme Leroy, dans La minute prescrite pour l'assaut, cogne notre fin du monde, jusqu'à ce que la langue française pisse le sang.
François Cérésa - Les Moustaches de Staline - dessine une exquise héroïne, je le raconte dans l'Opinion indépendante bientôt.
Et Philippe Vilain se défend bien.
Le trio comique de la rentrée littéraire ? Angot / Millet et JP Enthoven parlant de Bernard-Henri Lewis. A se tordre de niaiseries sentimentaleuses. L'ami Laborde n'est pas loin : son Renaud fait un plat terrible.
Un jour, nous republierons les chroniques "Elle court, elle court, la nuit" de Jean-Michel Gravier. Neuhoff est partant et Frébourg presque d'accord.
Un jour, nous écrirons Le talentueux Mr. Gégauff.
Un jour, tout le monde dira que Les liaisons dangereuses de Roger Vadim, scénario du grand Roger Vailland, est un beau film. Annette Vadim mérite d'y être aimée follement.
C 'est la rentrée ? J'emmerde la rentrée. Ne compte que l'été de nos vies.

dimanche 27 juillet 2008

Forza Ricardo Ricco

Ricardo Ricco
est sorti du Tour de France
sous les huées
de la foule
Collabo nazi
Mecton ayant tondu des femmes
Assassin d'enfants
Violeur en série
Ricardo Ricco,
Sachez-le,
s'est juste envolé
Ricardo Ricco
a juste tutoyé les sommets
et les anges
aux ailes en forme de
Paratonnerre
de
Baldaquin

Ricardo Ricco a pris de l'EPO ?
Rappelons que :
Les avocats se dopent
Les juges aussi
Mr le Président sniffe
Carla aussi
Les jeunes cadres dynamiques se dopent
les vieux aussi
les chanteurs aussi
et les écrivains encore
les acteurs, n'en parlons pas.
Le démarrage de Ricardo Ricco
dans l'étape qui menait à Bagnère-de-Bigorre
ne doit rien à l'EPO
mais tout à Marco Pantani le cador
le maestro
qui, avant de mourir,
a espéré
qu'on se souvienne, un jour,
non pas du sexe,
mais des ailes,
des anges.
Ricardo Ricco
est un ange
qui tchine
avec Lucifer.


jeudi 3 juillet 2008

PAUSE

L'été s'est pointé. Soleil en terrasse, jupes courtes et longues jambes des filles. Envie du grand large, de la fin de la terre, des bords du Léman. C'est pour bientôt.
L'été, c'est-à-dire le temps des muses, des musettes et des copains.
Frédéric Paulin, par exemple, est un copain, le meilleur d'entre tous. A la Baligan's garden party 2008, le plus petit festival du monde qui, depuis 8 ans, se tient fin juin dans le jardin rennais de Thomas Baligan, Frédéric était un Prince au milieu de 150 personnes. Chemise blanche, verre à la main, mots à l'assaut, à la caresse. A la BGP, la nuit avait le goût des alcools forts et l'aube, le charme blanc d'un éclat de rire. A la BGP, Piuma - la fragilité bluesy dans la voix de Romy, la stylée chanson de gestes d'Emily - a offert un beau concert. Il faut écouter Piuma et regarder le clip de La route : http://profile.myspace.com/index.cfm?fuseaction=user.viewprofile&friendid=105959340
L'été, je délaisse les anonymes, les posts, les coms, les working girls : je m'en vais au bras de la langue française. La mienne, celle des autres. Celle de l'excellent Philippe Lacoche dont la nouvelle Autumn Square, au Rocher, est une merveille où le drame se faufile entre une adorable jouisseuse sexygénaire et une jeune mère de famille à la grâce sensuelle. Celle de mes amis Authier et Leroy dont les prochains romans, Une belle époque et La minute prescrite pour l'assaut, seront dans ma sacoche. Celle de François Cérésa dont la couverture des Moustaches de Staline donne des envies de plage.
A mon retour, en septembre, je parlerai sans doute, encore, de Miss Ylang-Ylang, des blondes héroïnes, des brunes desesperadas, de la beauté de minuit quand Christophe chante Tandis que sur des paroles de Marie-Pierre Chevalier et que la lune trinque aux gouttes d'or. Je parlerai sans doute, encore, de ces lieux magnifiques et improbables que sont les bistrots, de Jean-Michel Gravier et Paul Gégauff, de Mac Nulty et Omar Little, de l'alcool qui rend touchant, qui rend fou et de mes habituelles babioles et obsessions. Si tout va bien.
En attendant, silence and salute.

mercredi 25 juin 2008

Jolies passantes de Paris

Même fatiguées
Les jeunes filles de la Boétie
ont un charme fou
Leurs cernes ont le charme
des hamacs
où il est bon de se laisser bercer
par le soleil
par la pluie
par le vent
Une fin de la terre
aussi douce que la peau
des fées d'hiver
des Lolitas d'été
quand le jour se lève
sur les longs boulevards de Paname
Tchin tchin mesdemoiselles

vendredi 20 juin 2008

A (re)découvrir #2 : Thierry Marignac

En 1988, Fasciste (Payot) de Thierry Marignac fit l’effet d’un uppercut d’Hagler au menton d’une France estampillée «Touche pas à mon pote». L’histoire d’un jeune homme qui se jette dans le chaudron du nationalisme politique le plus dur et se consume pour «Irène, jeune, mince, poignante, blonde surtout, blonde comme il est noble d’être blonde». Black-listé par un quarteron de bien-pensants, Marignac n’en a pas moins continué à mettre sa peau sur la table dans quelques livres nerveux à l’humeur sombre – Cargaison, Milana, Fuyards, A quai, parus pour les derniers chez Rivages- qui font le bonheur des amoureux d’une certaine furia francese où de Roux écoute Sid Vicious et Drieu pleure sur le destin brisé de Marco Pantani. Cet anar tendance Audiard a également traduit de nombreux auteurs parmi lesquels Jim Thompson, Elmore Léonard, Bruce Benderson ou encore son ami Edouard Limonov dont on peut lire un texte inédit sur son blog www.chroniquesmarignac.blogspot.com. Aux dernières nouvelles, Marignac se balade entre le Colorado, la Russie et l’Ukraine. Son art de rendre coups pour coups aux ultimes soubresauts d’un monde en morceaux ne connaît ni les frontières, ni les genres. Il achève en effet un polar pour la Série noire et publie deux novellas chez ActuSF : Maudit soit l’éternel ! et Dieu n’a pas que ça à foutre …
Papier paru dans L'Opinion indépendante, le 20/06/08

A (re)découvrir #1 : Alain Page

Auteur prolifique au Fleuve noir dans les années 60, scénariste de La piscine - film de Deray réunissant Romy Schneider, Alain Delon et Maurice Ronet -, Alain Page nous touche avant tout par la grâce d’une histoire d’amour et de mort, de culpabilité et d’impossible rédemption. Publié en 1982 chez Denoël, Tchao Pantin s’ouvrait sur des mots qui, longtemps après, ne lâche pas le lecteur : «La nuit, c’est le dernier salon où l’on cause. La nuit, on perd son identité, ses origines, ses racines. La nuit, on est tous de la même couleur. Un peu gris, un peu noirs, c’est selon. On flotte entre chien et loup, entre ailleurs et nulle part.» Le succès du beau film que Claude Berri tira du roman, mais aussi la discrétion de Page, ne doivent pas occulter le reste d’une œuvre où un styliste hors pair écrit comme d’autres chantent le blues. Une patte qu’on retrouve notamment dans Sang d’enfer (Flammarion), plongée particulièrement noire dans un Paris canaille, et dans Je suis rien (Cherche-midi), récit de l’initiation à la beauté d’un rejeton de Mai 68.
Papier paru dans L'Opinion indépendante, le 20/06/08

mardi 17 juin 2008

En attendant NUIT GRAVE ...

Jean-Michel Aulas est, évidemment, toujours un enculé
Muse et "musette" mimosa sont à croquer
Dans le supplément "livres" du Quotidien de Paris, au début des années 90, Bertrand de Saint-Vincent faisait écrire Jean-Marc Parisis, Olivier Frébourg, Jérôme Leroy, Frédéric Berthet
Le mot "élitiste", reproche dans la bouche des marchands du temple, me fait gerber
Les starlettes grassouillettes de la télé devraient mieux choisir leurs soirées
Des morts très vivants : Françoise Sagan, Bernard Frank, Arnould de Liedekerke, Paul Gégauff, Jean-Michel Gravier
Un "vivant" sans qualités : Eric Naulleau, épinglé d'une flèche par Patrick Besson : "Naulleauté".
Les accidents automobiles laissèrent toute une génération inconsolée
Remember Françoise Dorléac, Jean-René Huguenin, Jean Bruce, Albert Camus, James Dean, Roger Nimier
Un supplice reste à inventer pour calmer la morgue de tous les rejetons d'HEC
Une obsession inchangée : dire l'émotion que provoque la grâce trash d'un bas effilé
Les jeunes filles, portant talons et manteau rouge, sont les plus belles pour aller danser
"Elle court, elle court ... la nuit" : comment la rattrapper ?

vendredi 13 juin 2008

Françoise Sagan par-delà l'oubli

Les éditeurs français avaient beaucoup à se faire pardonner. Le jour de l’enterrement de Françoise Sagan, aucun d’entre eux ne daigna se déplacer pour lui adresser un ultime salut. Un manque de classe que rattrape en partie, quatre ans plus tard, l’action conjuguée des éditions Julliard et des éditions de L’Herne. Les premières republient neuf romans de Sagan, période 1954/1991, tandis que les secondes nous offrent, dans sept jolis carnets à la couverture noire et aux titres évocateurs, les textes qu’elle n’a cessé de donner à la presse : portraits, critiques ou interviews – genre où Sagan excellait. C’est l’occasion de retrouver un écrivain qui ne fut jamais là où les critiques l’attendaient. Attaquée à ses débuts, pour être arrivée trop tôt et trop vite en haut de l’affiche, elle fut ensuite embaumée dans la posture de «la comtesse aux pieds nus» des lettres, avant d’être lâchée par presque tous au moment où, anéantie par le fisc et ses excès, elle ne pouvait plus écrire. Une singulière trajectoire qui ne doit pas faire oublier l’essentiel : un style unique où l’émotion affleure sur le fil des sentiments ambigus. Ce qu’Antoine Blondin, frère en dérives et légèreté mélancolique, traduisait par ces mots : «Avant d’être un miracle ou un scandale, ce qui revient à peu près au même, Sagan, c’est d’abord une œuvre.» Pour en être convaincu, il suffit d’ouvrir aujourd’hui des chefs d’œuvre comme Aimez-vous Brahms…, La Chamade ou, bien sûr, l’inégalé Bonjour Tristesse dont la première phrase possède la grâce d’une intime révélation : «Sur ce sentiment inconnu dont l’ennui, la douceur, m’obsède, j’hésite à apposer le nom, le beau nom grave de tristesse.»
Papier paru dans L'Opinion indépendante, le 13/06/08

Marie-Dominique Lelièvre nous parle de Sagan

Après deux romans remarqués - Martine fait du sentiment et Je vais de mieux en mieux - et une biographie de Serge Gainsbourg, pourquoi avoir choisi de vous intéresser à Françoise Sagan ?
Sagan, c’est le mythe de la gloire immédiate : l’attaque éclair de Bonjour Tristesse à 18 ans, immédiatement best-seller, des prix littéraires, une célébrité internationale instantanée. Le rêve de beaucoup d’adolescents. Comme Gainsbourg, Sagan est une figure majeure de la société française. Par son art de vivre solaire, elle a influencé et accompagné ses contemporains pendant plusieurs décennies. Sagan est une héroïne, comme Zidane aujourd’hui : par ses postures et ses prédilections, elle anticipe celles d’une génération et trace un chemin.
Ecrire sur Sagan a-t-il confirmé votre impression première sur l’écrivain et sur le personnage public qu’elle incarnait ?
Je n’avais pas d’a priori sur elle, seulement de la curiosité. J’ai toujours été intrigué par la maîtrise de Bonjour tristesse, chef-d’œuvre de concision écrit par une adolescente. Durant trois ans, j’ai enquêté auprès des ses amis, de sa famille, de ses secrétaires, de sa banquière… J’ai visité ses maisons, exploré sa bibliothèque, et même dormi dans son lit. J’ai relu toute son œuvre, consulté sa correspondance, décrypté des interviews, ses dessins d’enfant. La première chose qui m’a frappée, c’était l’intelligence extrême de cette gamine, sa vivacité hors norme. Même dans sa famille, où elle était la plus jeune, elle menait son monde avec un sens de la répartie singulier. Sagan possédait un merveilleux regard qui tenait sous le charme. Elle obtenait ce qu’elle voulait, même à la fin de sa vie, diminuée. Et puis elle était bonne, aussi : elle avait le cœur intelligent.
On évoque souvent l’expression «petite musique» pour qualifier l’écriture de Sagan. En dépassant cette formule, pourtant très parlante, comment définiriez-vous son style ?
«Petite» musique ? Pourquoi «petite» ? L’écriture de Sagan est musicale, ses phrases ont une scansion particulière. Jean-Louis de Boissieu, professeur à la Sorbonne, spécialiste du XVIIe siècle et de La Fontaine, pense que cette musique emprunte en partie au bégaiement qui caractérise le phrasé de Sagan : une bègue pop.
Quels sont, selon vous, les livres les plus emblématiques de cette “patte” Sagan ?
Aux adolescents, j’offre Bonjour Tristesse et Des Bleus à l’âme. Le premier, parce que tous peuvent s’identifier à Cécile, son héroïne en vacances, confrontée à sa nouvelle belle-mère. Et puis les jeunes lecteurs ne peuvent qu’être bluffés par l’écriture concise d’une fille de leur âge, même s’ils lisent peu. Le second, parce que pour la première fois Sagan y parle d’elle-même et montre le roman en train de se construire. Pour ma part, j’aime Avec mon meilleur souvenir…, recueil de portraits où la bonté, la générosité de Sagan illuminent chaque page. En ce moment, j’offre New York, le petit recueil de reportages que les éditions de l’Herne ont eu la bonne idée de publier. Et je pioche, au hasard, dans la collection Bouquins.
Presque quatre ans après sa mort dans une totale indifférence éditoriale, Sagan est aujourd’hui massivement rééditée. Un film de Diane Kurys la ressuscite également. Que vous inspire ce retour en grâce tardif ?
Aucun éditeur n’a assisté aux obsèques de Sagan, en 2004. Pourtant ses livres n’ont jamais disparu des librairies ni des bibliothèques françaises. On trouve l’intégrale de ses romans en collection Bouquins, qu’avait édité son ex-mari, Guy Schoeller. Mais de son vivant, sa situation financière a paralysé les éditeurs. Si Julliard republie certains romans de Sagan, c’est parce que Denis Westhoff, son fils, a accepté la succession de sa mère. Un pari assez fou, car elle ne lui a laissé qu’une colossale dette fiscale. Ce qui manque, à présent, c’est la réédition en poche pour les jeunes lecteurs. On ne trouve toujours pas Des Bleus à l’âme, ni en poche ni en grand format, sauf sur quelques sites de livres d’occasion.
En vous lisant, on a l’impression d’assister à la mort lente d’un vieux monde où légèreté et profondeur se mêlaient gaiement. Dans quelle mesure Sagan vous paraît-elle emblématique de ce passage du temps ?
Mon livre est publié à une période où le monde semble pesant, désenchanté, par manque de visibilité. Où est passée l’insouciance ? Je ne sais pas... L’épopée de Sagan se déroule, elle, sur fond de prospérité économique dans une France encore rurale gouvernée par des grandes personnes. La France se modernise, l’Etat Providence est en forme, le chômage n’existe pas. A la tête du pays, des hommes d’états responsables offrent une image protectrice. Sagan anticipe le mouvement : les Français rêvent d’acquérir une auto ; avec ses premiers droits d’auteur, elle s’offre une Aston Martin. Ils rêvent de vacances à la mer : elle loue une maison à Saint-Tropez et y invite tous ses copains. Mais elle a aussi influencé la société d’aujourd’hui. Sagan a été la matrice d’un type qui a fait école, celui de l’enfant-roi. Par son mode de vie hédoniste et son goût du jeu, elle préfigure les années Sarkozy : la jouissance à tout prix, le travail sans contraintes, l’argent claqué en choses inutiles, les voyages, le jeunisme, la fête… Dans les années Sagan, on pouvait se dépenser avec légèreté, parce que la société française semblait stable. Sa génération ne jerkait pas au bord du vide. Il n’y a plus de grandes personnes, pour citer Malraux. Il ne faut toutefois pas idéaliser les années 70. Sagan et ses amis regrettaient d’ailleurs d’avoir manqué les années 20… Et redoutaient secrètement une nouvelle guerre avec usage de l’arme atomique.
Vous parlez des amis de Sagan. Au coeur de sa vie et de votre biographie, on retrouve la figure, à la fois discrète et omniprésente, de Bernard Frank. Comment caractériser le lien qui les unissait ?
Une tendresse gratuite qui a duré toute leur vie. Ils s’aimaient, tout simplement. Lorsque un soir, Bernard Frank m’a dit : «Françoise était la femme de ma vie», j’ai cru tenir un scoop… Puis j’ai appris que plusieurs femmes, dans sa vie, s’étaient disputées le titre. Ce n’était pas une relation amoureuse. Sagan n’était pas le type de Bernard, attiré par des femmes du monde, plus âgées que lui. Et il n’était pas le type de Sagan, qui après avoir aimé, outre les femmes, les hommes mûrs, leur préférait les voyous, comme certaines bourgeoises. Ils avaient une règle : ne jamais commenter la vie amoureuse de l’autre. Du reste, ils s’épanchaient peu, ayant l’amitié pudique. Sagan, modeste et peu sûre de son talent, considérait que des deux, c’était lui le grand écrivain. Et il se laissait penser qu’elle n’avait pas tort…
Quelle trace laissera Françoise Sagan dans le petit monde des lettres et quels sont les écrivains qui vous paraissent marcher sur ses pas ?
À chaque fois qu’un lecteur ouvre Bonjour tristesse, Sagan ressuscite. Elle est très proche des gens, avec une écriture très simple : lorsqu’on la lit, elle est présente. Elle rend ses lecteurs heureux. Ses successeurs ? Des auteurs parisiens imitent son mode de vie, la coke, le night-clubbing… Mais nous rendent-ils heureux ? Des héritiers de Sagan, il y en a dans le rock, c’est sûr. Devant la grâce juvénile d’un groupe comme les Shades, avec sa maturité musicale, on ressent l’émotion qu’on dû éprouver ceux qui rencontrèrent Sagan en 1954. Le chanteur, Benjamin, qui écrit des textes brillants, a dix-sept ans et Harry, le batteur, 16 ans. Vous voyez, il y a encore des étoiles qui scintillent…
Marie-Dominique Lelièvre, Sagan, à toute allure, 348 pages, Denoël.
Interviouve parue dans L'Opinion indépendante, le 13/06/08

lundi 2 juin 2008

D comme ... Damages, Dexter

Pour celles et ceux qui aiment les séries, la flatterie et tutti quanti ... Papiers parus dans L'Opinion indépendante, en mai 2008 : http://www.lopinion.com/public/lopinion/html/fr/semaine/public.php?article=3

Damages :
La marquise de Merteuil est aujourd’hui une avocate de renom. Glenn Close, figure centrale de Damages dans le rôle de Patty Hewes, pourrait lancer, telle l’héroïne de Laclos qu’elle incarna dans Les liaisons dangereuses : «Et maintenant, la guerre !» Damages est avant tout une histoire de guerre qui nous entraîne sur un champ de bataille d’un genre particulier : les cabinets juridiques. A New York, Patty Hewes est une froide tueuse des prétoires voulant la peau d’Arthur Frobisher, un homme d’influence. Afin de gagner ce combat, elle engage une jeune juriste ambitieuse, Helen Parsons, qu’interprète l’exquise Rose Byrne. Dès les premières images, elle apparaît ensanglantée, errant dans la rue simplement vêtue d’un imperméable vert. Grâce à de multiples flash-back baignant dans une lumière crépusculaire, nous la retrouverons ensuite six mois auparavant. A un moment, parée d’un caraco rose, Helen se sert un verre de whisky avec, dans la tête, une question de vie ou de mort : pourquoi Patty Hewes la manipule-t-elle ? Une affaire, au charme vénéneux, à suivre …
Dexter :
Showtime - productrice notamment de Weeds, The L World ou The Tudors - l’a fait : avec Dexter, le serial-killer est devenu un héros de série télévisée. Né de l’imagination du romancier Jeff Lindsay, Dexter Morgan a tout du bon garçon. Talentueux expert du service médico-légal de la police de Miami, en charge de l’analyse des prélèvements sanguins, petit ami délicat, frère attentionné, il est pourtant un lointain cousin du Patrick Bateman de Bret Easton Ellis. Le générique de Dexter, à la fois minimaliste et organique, laisse entrevoir la complexité d’un personnage dont l’absence apparente d’émotions évoque parfois le Samouraï de Melville. Dexter est habité par une violence que, depuis l’enfance, il ne peut contenir et qu’il évacue en exécutant, avec un art chirurgical de la liturgie meurtrière, des criminels impunis. Commentant ses actes en voix-off, quêtant ses proies autant qu’il se cherche lui-même, Dexter nous offre une singulière échappée dans la tête d’un tueur qu’interprète Michael C. Hall, connu pour son rôle dans Six feet under.

dimanche 1 juin 2008

La guerre du goût de Bertrand de Saint-Vincent

De A comme « Abbé Pierre » à Z comme « Zapper », il existe tout un monde aux contours flous. Le nôtre, que Bertrand de Saint-Vincent met à nu et maltraite dans ses Fragments d’impertinence. Le mâle d’aujourd’hui, connecté sans interruption à son portable et au ouèbe, aime y prendre le pouls du CAC 40 – « la météo des riches » - tout en cherchant une femme qui, année après année, ne cherchera qu’à rajeunir pour ressembler à Barbie. Il lit Beigbeder, Sollers et Houellebecq ; est abonné aux Inrockuptibles, « magazine culte, surtout aux yeux des journalistes qui y collaborent. » Il a arrêté la cigarette, trouvant plus hype de se poudrer le nez de cocaïne – « l’électricité des branchés ». Il a peur de son prochain, de sa prochaine et des réactionnaires qui freinent le progrès. On en est là, dans une France devenue « l’un des musées les plus fréquentés du monde ; et le seul où l’on puisse entrer sans billet. »
Saint-Vincent, chroniqueur au Figaro, appartient-il pour autant à la longue cohorte des déprimistes et autres déclinologues ? Un homme qui cite Valery Larbaud, Alexandre Vialatte et Pierre Desproges ne s’abreuve pas à cette source. « Désespérer, c’est encore une manière d’espérer », écrit-il d’une plume qui n’est pas sans rappeler celle de François Taillandier dans Ce monde-là, dictionnaire personnel de l’époque. L’auteur ne cache pas qu’il se fait une certaine idée de notre « cher et vieux pays », où un savant mélange de légèreté et de profondeur renvoie à ce qu’il faut bien appeler le style. Son premier ouvrage n’était pas pour rien consacré à Jacques Laurent, homme pressé dont les phrases sèches et élégantes avaient la grâce d’un costume en lin légèrement froissé. A la suite du hussard en chef, Saint-Vincent perpétue l’esprit frondeur et l’art aristocratique de déplaire.
Du bobo roi à l’usage immodéré des antidépresseurs comme rempart à une réalité invivable, de la dérision obligatoire à l’apologie permanente de la transparence, en passant par l’exécution de quelques morts-vivants contemporains, il use de l’Abécédaire comme d’une arme de précision – un fusil à lunettes. Fragments d’impertinence signe ainsi de nouvelles mythologies, que Roland Barthes ne renierait pas, et nous venge des outrages subis par ce qui reste, ici-bas, de beauté. Au hasard des évocations de Saint-Vincent : Bardot inoubliable dans Et Dieu créa la femme, le souvenir de Bernard Frank et Françoise Sagan, Message personnel de Françoise Hardy, la poésie triste des sacs en plastiques, Isabelle Adjani dans L’été meurtrier et la rencontre improbable d'une femme de notre vie, qu’on souhaiterait pouvoir appeler encore longtemps « mademoiselle » : « Si la blonde a les yeux clairs, c’est un iceberg ; elle fondra dans vos bras et vous laissera le cœur glacé. Si la brune a le regard foncé, c’est un gouffre. Vous y tomberez et vous aurez un mal fou à vous en extirper. A partir d’un certain âge, toutes les femmes sont blondes. »
Bertrand de Saint-Vincent, Fragments d’impertinence, 217 pages, Plon.

Papier paru dans L'Opinion indépendante, le 31/05/08

lundi 19 mai 2008

Miss Général de l'armée des rêves

Feu sur le quartier général de la laideur partout à l'oeuvre !

Audiard, du zinc d'en haut, tire sur la France de Nico le petit

« Tenez, je la revois … Vieille carcasse encore fumante de toutes ses guerres, vieux ventre avachi d’avoir porté quatre-vingt deux rois, trois empereurs et cinq républiques. La France avec ses seize millions d’automobilistes, ses quatre millions de pêcheurs à la ligne, ses cinq cent mille anciens combattants, ses trois couleurs, ses deux mamelles, sa force de frappe. En la voyant telle quelle, je me suis dit qu’on pourrait peut-être encore tirer le portrait de cette ravelure … en travaillant dans les tons pastels … les lumières tamisées … le bon profil … parce que pour la rendre présentable, la vache, ça va pas être de la tarte ! … »
Michel Audiard, Vive la France, Julliard, Idée fixe, 1973

jeudi 15 mai 2008

Fannin' street

Divinement portée par la voix de Scarlett Johansson, Fannin' street me fait penser à un long tchin tchin au balcon de la pluie.
Une blonde héroïne en robe noire, bottée de cuir, dirait que les gouttes ressemblent à des étoiles grisées après une nuit d'ivresse. En buvant du vin, elle parlerait du temps qui file et du coeur trop sensible des hommes. Elle offrirait enfin, avant de s'enfuir, un sourire doux comme un baiser, comme un sein, à la lune assoupie.
Il y a, dans Fannin' street, toute la grâce sensuelle des blondes héroïnes, et bien plus encore.

lundi 12 mai 2008

L'esprit de résistance de Frédéric H. Fajardie

Frédéric Fajardie est mort le 1er mai 2008. Au moment où sortent le Journal de Jean-Patrick Manchette et des chroniques de A.D.G. Ces trois-là ne se quittaient jamais vraiment. Ils nous manquent.
Nous republions ici un papier, paru en juin 2007 dans L'Opinion indépendante, à l'occasion de la sortie de son dernier roman Tu ressembles à ma mort (Editions des Equateurs) :
Depuis 1979 et Tueurs de flics, Frédéric H. Fajardie n’en fait qu’à sa tête. D’abord rattaché au néo-polar français, il adopte rapidement la position du franc-tireur. Publiant trois ou quatre livres par an, il alterne recueils de nouvelles, romans policiers ou historiques, mais aussi des pamphlets et ce qu’il nomme des «curiosités». Fajardie aime se jouer des genres pour mieux les faire exploser et imposer son style de dandy tendance «marxiste libertaire». Ainsi Tu ressembles à ma mort était initialement une commande du CE des cheminots du Nord-Pas-de-Calais et de l’association Colères du Présent pour fêter les 70 ans de la SNCF, «cette dame d’un âge respectable, qui a encore de beaux jours devant elle, à condition que nous soyons tous convaincu de la place qu’elle occupe».
Dès la première phrase - «L’homme, Robert Tinaire, ignorait qu’il allait être assassiné dans quelques dizaines de minutes» -, Fajardie donne le ton. Il transforme la commande de circonstance en polar historique et social qu’il va mener, avec sa maestria sèche et fulminante comme une colère, pied au plancher. Nous sommes en mars 1938, dans une France d’avant le grand bouleversement, bordée par l’Allemagne nazie revancharde, l’Italie de Mussolini et l’Espagne franquiste. Le second gouvernement Blum, tout juste nommé, croit encore aux lendemains enchanteurs. Des armes et des munitions doivent être acheminées, par «trains fantômes», de Paris à Dunkerque, pour être ensuite livrées aux Républicains espagnols. Mais l’opération prend une tournure catastrophique : plusieurs cheminots en charge de la cargaison sont retrouvés sauvagement poignardés. Alors que l’enquête officielle s’égare, Henri Perlbag, commissaire de la Sûreté nationale, est appelé à la rescousse. Ses états de service parlent pour lui : fils de cheminot, héros de 1914, policier d’exception et socialiste de conviction. Un homme libre qui porte ses blessures à fleur de peau et pour lequel l’honneur est le dernier refuge des amoureux de cette drôle de vie. Entre Paris et Arras, Perlbag traque ses ennemis : des fascistes, des gros bras cagoulards, des arrivistes corrompus. En chemin, il trouve l’amour, cette émotion oubliée qui lui rappelle que «dans un monde parfait, les baisers devraient avoir un goût d’orange.» Malgré les trahisons, il déjoue, entouré de quelques fidèles, le complot contre la France fomenté par un émissaire du Duce. La victoire est belle mais la mort n’est pas loin, à peine repoussée. Perlbag le sait, lui qui, en guise d’adieu, se souvient des mots de Miguel de Unamuno devant Franco : «Vous vaincrez parce que vous possédez la force brutale mais vous ne convaincrez pas car pour convaincre, il faut persuader. Or, pour persuader, il vous faudrait avoir tout ce qui vous manque : le droit et la raison.»

jeudi 1 mai 2008

Nos amis les chanteurs - dernière salve

_ Qu'est-ce que tu fous avec ton roman ?
_ D'abord : Nos amis les chanteurs - dernière salve, avec l'ami Thierry Séchan.
_ Pourquoi d'abord ?
_ Money money ...
_ Ca sort quand ?
_ Octobre, chez Alphée/JP Bertrand.
_ De quoi ça parle ?
_ Comme le titre l'indique : de la chanson française.
_ De la daube, la chanson française !
_ Sûrement, mais j'y parle aussi de BB, de Romy Schneider, de Philippe Muray, des seins d'Hélène Fillière et de Laurence Ferrari, de Charles Bukowski, de Pascal Jardin, d'Alain Bashung, des jeunes filles blondes et d'Hubert-Félix Thiéfaine, entre autres. Et puis aussi de Christophe :
"Fin de la terre, face à l’océan, la beauté ressemble à une chanson de Christophe dans un vieux baladeur.
La voix de nuit blanche du « dernier des Bevilacqua » s’enroule autour des « Mots bleus / Ceux qu’on dit avec les yeux / Ceux qui rendent les gens heureux ».
Elle dessine une Dolce vita où s’incrustent, en clair-obscur, un vespa, des boules de flipper, une veste de soie rose, de vieux acteurs italiens, des trains de nuit, une paire de gants blancs, un cœur griffé en satin rouge, des jardins suspendus, une robe de taffetas, des crashs d’autos, une avenue sous la pluie, l’ombre d’un samouraï puis, enfin, la silhouette d’une fatale héroïne.
Comment s’appelle-t-elle ? Aline, Elsa, Daisy, Isabella ? Ce que je sais : L’enfer commence avec L. :
« Sous les arcades de ses yeux, j’envisage mes nouveaux cernes, cocktail de pâleur blondie mortelle.Mon mauvais ange se change pour me plaire en belle de nuitet son souffle sur mes lèvres joue avec le feu sans éteindre ma vie »[1]
[1] In Comm’ si la terre penchait, 2001

mercredi 30 avril 2008

De Cancer à TsimTsoum

La revue Cancer ! – 9 numéros, 3 Hors séries et deux ouvrages collectifs, Têtes de turc et Gueules d’amour – était une belle aventure. Elle est morte, plombée par les mesquineries et la peur au ventre de quelques-uns. Elle devait renaître, début 2005, sous un nom mystico-jazzy : TsimTsoum.
J’en avais parlé avec Bruno Deniel-Laurent, Laurent James et quelques autres dans un bar pouilleux populo du 11e arrondissement de Paris : le Pouilly. Une télévision, dans un coin du troquet, diffuse Sous le soleil – série bêta où les filles sont sexy - puis le Maillon faible. Les mecs au comptoir se traitaient de Pédés, d’enculés, ils insultaient leur mère, leurs soeurs. Tout allait bien.
Dans TsimTsoum, nous aurions pu publier des textes d’Arthur Cravan, d’Albert Caraco, de Karl Kraus ou de Dominique de Roux. En exergue, je voyais bien André Breton et cet aveu : « Les confidences des fous, je passerai ma vie à les provoquer. » Pour l’édito du numéro 1, BDL a proposé « La République des vaincus », texte extrait du Pal, journal tonitruant rédigé en solo par Léon Bloy, journal qui ne connut que 4 numéros. En voilà du texte, du bon, du qui déchire sa race et qui déchire l’époque ! Extrait :
«Ah ! nous sommes fièrement vaincus, archi-vaincus de cœur et d’esprit ! Nous jouissons comme des vaincus et nous travaillons comme des vaincus. Nous rions, nous pleurons, nous aimons, nous spéculons, nous écrivons et nous chantons comme des vaincus. Toute notre vie intellectuelle et morale s’explique par le fait que nous sommes de lâches et déshonorés vaincus. »
Une ou deux agrégées, ainsi que la très pénible Sarah Vajda, silencieuses jusqu’ici, n'étaient pas convaincues. Elles jugeaient Bloy « connoté » et « hors du coup ». Elles craignaient de passer pour des « nazis », pour des « ringardes ».
Cancer !, paraît-il, avait déjà cette réputation. Elles préféraient, pour l’édito, que chacun rédige un pastiche d’une tirade du Mariage de Figaro de Beaumarchais. Le pastiche, c’est tendance, ça ne fait pas de mal et c’est « drôle à faire ».
Ce que j'en pensais : il fallait ignorer ces imprécises ridicules et se replonger dans Bloy, sa prose fumante, ses colères terribles, sa joie devant les flammèches de beauté qui vacille au fond de la détresse d’une pute aimée.
Bloy était inactuel, dixit madame Vajda qui, alors, préférait Claire Chazal. Ma réponse ? Lire Une femme pauvre, lire Le désespéré, lire le Journal du fulminant Léon.
TsimTsoum est sorti, sans moi, un numéro que les abonnés, pour la plupart, n'ont pas reçu. Depuis : pas de nouvelles. Ni de la revue, ni de Bruno Deniel-Laurent, homme hors-norme et écrivain de qualité, ce qu'il n'a jamais voulu savoir.

mardi 29 avril 2008

Le livre le plus excitant du moment

Avant d'en parler plus longuement, la présentation très classieuse de l'explosif bouquin sur le site de l'éditeur, nos amis de Moisson rouge : http://moissonrouge.blogspot.com/
Ca s'appelle "Morand Punk" et ça provoque une envie furieuse : rapter illico Sang futur, de Kriss Vilà !

"Kris Vilà est un Morand punk. Il use de la métaphore comme d’une arme de précision et il réinvente une littérature sans oiseaux.
Morand, génération 17 :carnage mondial et révolution russe ;
Vilà, génération 77 : guerre froide et marchandisation universelle.
En 1977, en France, la sortie du gauchisme laisse un goût de cendre. Le temps est venu pour l’ardent travail du négatif : ce sera le néo-polar (Manchette, Fajardie) mais ce sera aussi le Punk. Le Punk comme dans un roman de Vilà.
Les filles ressemblent toutes à l’Agnès Soral de Tchao Pantin dans Sang Futur. Si elles pouvaient quitter l’Hinterland bétonné qui leur sert de décor, franchir le périph qui pulse comme une aorte asphaltée, elles retrouveraient sur les canapés de Libération, à l’aube, Pacadis défoncé, de retour d’un raout héroïnomaniaque. Sang futur est écrit, disons, cinq ans avant que le sida fasse régner sur les corps la terreur que le néocapitalisme fait régner sur le travail. Sang futur a l’intuition de cette fraternité maudite qui va naître dans la nuit virale du nihilisme des eighties.
Vilà fait de son livre un concentré visionnaire, instable comme une nitroglycérine dosée par des schizophrènes et des hébéphrènes, des trente ans qui vont suivre : panique immunitaire, guerre civile larvée, pathologie ethnique et ambiguïté sexuelle, donc narrative...
Le pari de Vilà est gagné : Sang futur, c’est sang présent. La figure outragée d’un monde qui s’en va. Sang futur, c’est maintenant et pour toujours."

lundi 28 avril 2008

Once upon a time ...

Certains s'en souviennent
Ils sont peu nombreux
Une petite armée comme je les aime
Merci à eux.
On attend la suite ?
Je sais ...

mercredi 23 avril 2008

Vieille brève retrouvée

« Paul Gégauff, soixante et un ans, écrivain et scénariste, a été assassiné de trois coups de couteau, dans la nuit du samedi 24 au dimanche 25 décembre 1983, par sa compagne âgée de 25 ans, à Ghoevic, en Norvège. La jeune femme, dont l’identité n’a pas été révélée, a reconnu les faits. »
in Le Monde le 28 décembre 1983