mercredi 30 avril 2008

De Cancer à TsimTsoum

La revue Cancer ! – 9 numéros, 3 Hors séries et deux ouvrages collectifs, Têtes de turc et Gueules d’amour – était une belle aventure. Elle est morte, plombée par les mesquineries et la peur au ventre de quelques-uns. Elle devait renaître, début 2005, sous un nom mystico-jazzy : TsimTsoum.
J’en avais parlé avec Bruno Deniel-Laurent, Laurent James et quelques autres dans un bar pouilleux populo du 11e arrondissement de Paris : le Pouilly. Une télévision, dans un coin du troquet, diffuse Sous le soleil – série bêta où les filles sont sexy - puis le Maillon faible. Les mecs au comptoir se traitaient de Pédés, d’enculés, ils insultaient leur mère, leurs soeurs. Tout allait bien.
Dans TsimTsoum, nous aurions pu publier des textes d’Arthur Cravan, d’Albert Caraco, de Karl Kraus ou de Dominique de Roux. En exergue, je voyais bien André Breton et cet aveu : « Les confidences des fous, je passerai ma vie à les provoquer. » Pour l’édito du numéro 1, BDL a proposé « La République des vaincus », texte extrait du Pal, journal tonitruant rédigé en solo par Léon Bloy, journal qui ne connut que 4 numéros. En voilà du texte, du bon, du qui déchire sa race et qui déchire l’époque ! Extrait :
«Ah ! nous sommes fièrement vaincus, archi-vaincus de cœur et d’esprit ! Nous jouissons comme des vaincus et nous travaillons comme des vaincus. Nous rions, nous pleurons, nous aimons, nous spéculons, nous écrivons et nous chantons comme des vaincus. Toute notre vie intellectuelle et morale s’explique par le fait que nous sommes de lâches et déshonorés vaincus. »
Une ou deux agrégées, ainsi que la très pénible Sarah Vajda, silencieuses jusqu’ici, n'étaient pas convaincues. Elles jugeaient Bloy « connoté » et « hors du coup ». Elles craignaient de passer pour des « nazis », pour des « ringardes ».
Cancer !, paraît-il, avait déjà cette réputation. Elles préféraient, pour l’édito, que chacun rédige un pastiche d’une tirade du Mariage de Figaro de Beaumarchais. Le pastiche, c’est tendance, ça ne fait pas de mal et c’est « drôle à faire ».
Ce que j'en pensais : il fallait ignorer ces imprécises ridicules et se replonger dans Bloy, sa prose fumante, ses colères terribles, sa joie devant les flammèches de beauté qui vacille au fond de la détresse d’une pute aimée.
Bloy était inactuel, dixit madame Vajda qui, alors, préférait Claire Chazal. Ma réponse ? Lire Une femme pauvre, lire Le désespéré, lire le Journal du fulminant Léon.
TsimTsoum est sorti, sans moi, un numéro que les abonnés, pour la plupart, n'ont pas reçu. Depuis : pas de nouvelles. Ni de la revue, ni de Bruno Deniel-Laurent, homme hors-norme et écrivain de qualité, ce qu'il n'a jamais voulu savoir.

mardi 29 avril 2008

Le livre le plus excitant du moment

Avant d'en parler plus longuement, la présentation très classieuse de l'explosif bouquin sur le site de l'éditeur, nos amis de Moisson rouge : http://moissonrouge.blogspot.com/
Ca s'appelle "Morand Punk" et ça provoque une envie furieuse : rapter illico Sang futur, de Kriss Vilà !

"Kris Vilà est un Morand punk. Il use de la métaphore comme d’une arme de précision et il réinvente une littérature sans oiseaux.
Morand, génération 17 :carnage mondial et révolution russe ;
Vilà, génération 77 : guerre froide et marchandisation universelle.
En 1977, en France, la sortie du gauchisme laisse un goût de cendre. Le temps est venu pour l’ardent travail du négatif : ce sera le néo-polar (Manchette, Fajardie) mais ce sera aussi le Punk. Le Punk comme dans un roman de Vilà.
Les filles ressemblent toutes à l’Agnès Soral de Tchao Pantin dans Sang Futur. Si elles pouvaient quitter l’Hinterland bétonné qui leur sert de décor, franchir le périph qui pulse comme une aorte asphaltée, elles retrouveraient sur les canapés de Libération, à l’aube, Pacadis défoncé, de retour d’un raout héroïnomaniaque. Sang futur est écrit, disons, cinq ans avant que le sida fasse régner sur les corps la terreur que le néocapitalisme fait régner sur le travail. Sang futur a l’intuition de cette fraternité maudite qui va naître dans la nuit virale du nihilisme des eighties.
Vilà fait de son livre un concentré visionnaire, instable comme une nitroglycérine dosée par des schizophrènes et des hébéphrènes, des trente ans qui vont suivre : panique immunitaire, guerre civile larvée, pathologie ethnique et ambiguïté sexuelle, donc narrative...
Le pari de Vilà est gagné : Sang futur, c’est sang présent. La figure outragée d’un monde qui s’en va. Sang futur, c’est maintenant et pour toujours."

lundi 28 avril 2008

Once upon a time ...

Certains s'en souviennent
Ils sont peu nombreux
Une petite armée comme je les aime
Merci à eux.
On attend la suite ?
Je sais ...

mercredi 23 avril 2008

Vieille brève retrouvée

« Paul Gégauff, soixante et un ans, écrivain et scénariste, a été assassiné de trois coups de couteau, dans la nuit du samedi 24 au dimanche 25 décembre 1983, par sa compagne âgée de 25 ans, à Ghoevic, en Norvège. La jeune femme, dont l’identité n’a pas été révélée, a reconnu les faits. »
in Le Monde le 28 décembre 1983

vendredi 18 avril 2008

Jeune fille riche perdue dans Nice

Fin octobre 1977, Agnès Le Roux disparaît. Personne ne reverra plus la jolie héritière niçoise en lutte pour le contrôle du casino familial. Trente ans après les faits, son ancien amant et complice en affaires, l’avocat Jean-Maurice Agnelet, est successivement acquitté du meurtre de la jeune femme puis condamné en appel. Ayant toujours clamé son innocence, il se pourvoit en cassation tandis que Renée Le Roux, la mère d’Agnès, a la certitude d’avoir gagné son dernier combat.
Sur cette trame de polar, Patrick Besson a tissé un beau récit distancié et mélancolique où une sourde violence explose sous le soleil de la Côte d’Azur. L’affaire Agnès Le Roux ? L’histoire d’une mère et de sa fille. Une histoire de filles : «Toutes les histoires sont des histoires de filles […] Sans les filles le monde ne tournerait pas rond : il ne tournerait pas. Elles sont belles comme le jour de notre mort. S’il n’y avait pas de filles, aucun homme ne voudrait devenir riche, du coup il n’y aurait aucun criminel, car il n’y a aucun moyen de faire fortune sans tuer, d’où l’encouragement à la pauvreté qu’on trouve dans l’Evangile.»
Derrière les fulgurances désenchantées de Besson se cache un auteur dostoïevskien, celui du Journal d’un écrivain qui, décortiquant les faits-divers, fouillait l’âme et le corps des hommes. Au gré de ses déambulations dans Nice – «Ville du souvenir et du simulacre […] jaune comme le chien de Simenon» -, Besson restitue à la tragédie ses personnages. Entre les fantômes de Nietzsche et de Romain Gary, il esquisse rapidement la silhouette d’Agnès : «Elle a failli être une femme des années 80 mais a disparu avant. C’était une grande brune à poitrine volumineuse, qui portait une besace comme un soldat. Ou un chasseur. Elle a fini par acheter une Range Rover, jeep du civil. Envolée, elle aussi. Agnès fumait des Gauloises vertes. Bien oubliées. Il ne reste donc rien de Mlle Le Roux. Sauf sa mère et son appartement.»
Le portrait d’Agnès ainsi tiré - avec la précision du sniper qui, au passage, ne rate pas la mère -, Besson ne lâche plus l’ombre de la belle de Nice. Il la suit dans ses joies trop rares et dans son chagrin. Il la perd le temps de deux tentatives de suicide, la retrouve sur une plage grecque ou dans un vieux tube de Johnny Hallyday. La triste figure de l’amant manipulateur est évidemment omniprésente, les spectres du mafioso Fratoni et de Jacques Médecin, maire de la ville, également. Dans le noir et blanc des années 70, Agnès finit par s’éclipser brutalement. «Disparaître était le seul moyen de les mettre tous dans la merde où ils ont essayé de me mettre», aurait-elle pu écrire.
Ni juge ni partie, Besson consent pourtant, en éternel dandy marxiste, à désigner un coupable : l’argent, ultime corrupteur du corps des jeunes filles riches.
Patrick Besson, Le corps d'Agnès Le Roux, Fayard.
Article paru dans L'Opinion indépendante, le 18/04/2008

vendredi 11 avril 2008

Le monde blessé d’Alain Bashung

Depuis le début des années 80, Alain Bashung nous accompagne de sa voix grave et envoûtante. Portant lunettes noires et cigarette entre les doigts, il a chanté Gaby, Joséphine et les « Vertiges de l’amour ». Il nous a révélé les rêves de Madame, a offert des mots tendres et pudiques à Marie-José Pérec. Il s’est confessé sur l’épaule de nos nuits blanches : « La nuit je mens /Je prends des trains à travers la plaine / La nuit je mens /Je m'en lave les mains / J'ai dans les bottes des montagnes de questions / Où subsiste encore ton écho ».
Album après album, Alain Bashung apparaît tel un bandit « classieux » des chemins de la chanson française. D’une langue exigeante, il crochète les serrures de notre drôle de temps. Des complices nommés Gainsbourg, Boris Bergman, Miossec ou Jean Fauque ont apporté leur concours à la réalisation de ces casses poétiques.
Sur Bleu pétrole, Bashung a changé d’équipe. Son constat : « L'époque me semble suffisamment confuse pour ne pas rajouter de brume, surtout que j'en ai déjà beaucoup d'avance. Il me paraissait urgent d'être vite compris. » Afin d’atteindre cette immédiateté dans l’écoute, il s’est tourné vers Gaétan Roussel, âme pensante du groupe Louise Attaque. Dès les premiers titres, Je t’ai manqué et Résident de la République, la réalisation et les compositions de Roussel renouent avec l’urgence folk-rock qui caractérisait le premier album de Louise Attaque, tout en intégrant le clair-obscur angoissant de l’univers de Bashung. Les paroles s’insèrent ainsi dans les vides d’un aujourd’hui mal en point, où les êtres sont réduits à l’état de particules élémentaires sous vide : « Un jour je te parlerai moins / Peut-être le jour où tu ne me parleras plus / Un jour je voguerai moins / Peut-être le jour où la terre s’entrouvrira ».
Alors que Bashung chante « Des tristesses surannées / Des malheurs qu’on oublie / Des ongles un peu noircis », certains ont cru voir dans Bleu pétrole un album « militant ». C’est confondre un regard acéré sur notre monde blessé et les puériles leçons de morale de Cali. Loin de tout « engagement » inoffensif, Bashung nous raconte des histoires belles et tristes qu’il a confiées, pour les plus somptueuses, à la plume de Gérard Manset. D’un retour au mythe de Venus à la reprise de Il voyage en solitaire, en passant par Comme un lego et le très noir et décadent Je tuerai la pianiste, le résultat impressionne par la tranchante lucidité qui s’en dégage.
Chez Bashung, le roi est nu et nos villes, peuplées de silhouettes fantomatiques : « C’est un grand terrain de nulle part / Avec de belles poignées d’argent / La lunette d’un microscope / On regarde, on regarde, on regarde dedans / On voit de toutes petites choses qui luisent / Ce sont des gens dans des chemises / Comme durant ces siècles de la longue nuit / Dans le silence ou dans le bruit. »
Alain Bashung, Bleu pétrole, Barclay
Papier paru in L'Opinion indépendante, le 11/04/2008

jeudi 3 avril 2008

De guerre lasse

J'aime beaucoup Damages,
Episode 12 ou 13,
quand Rose Byrne,
alias Ellen Parsons,
retire,
de guerre lasse,
ses chaussures à talon noires,
puis, parée d'un caraco rose pâle,
se sert un verre de ouisquie
qu'elle porte lentement
à ses lèvres.