mercredi 25 juin 2008

Jolies passantes de Paris

Même fatiguées
Les jeunes filles de la Boétie
ont un charme fou
Leurs cernes ont le charme
des hamacs
où il est bon de se laisser bercer
par le soleil
par la pluie
par le vent
Une fin de la terre
aussi douce que la peau
des fées d'hiver
des Lolitas d'été
quand le jour se lève
sur les longs boulevards de Paname
Tchin tchin mesdemoiselles

vendredi 20 juin 2008

A (re)découvrir #2 : Thierry Marignac

En 1988, Fasciste (Payot) de Thierry Marignac fit l’effet d’un uppercut d’Hagler au menton d’une France estampillée «Touche pas à mon pote». L’histoire d’un jeune homme qui se jette dans le chaudron du nationalisme politique le plus dur et se consume pour «Irène, jeune, mince, poignante, blonde surtout, blonde comme il est noble d’être blonde». Black-listé par un quarteron de bien-pensants, Marignac n’en a pas moins continué à mettre sa peau sur la table dans quelques livres nerveux à l’humeur sombre – Cargaison, Milana, Fuyards, A quai, parus pour les derniers chez Rivages- qui font le bonheur des amoureux d’une certaine furia francese où de Roux écoute Sid Vicious et Drieu pleure sur le destin brisé de Marco Pantani. Cet anar tendance Audiard a également traduit de nombreux auteurs parmi lesquels Jim Thompson, Elmore Léonard, Bruce Benderson ou encore son ami Edouard Limonov dont on peut lire un texte inédit sur son blog www.chroniquesmarignac.blogspot.com. Aux dernières nouvelles, Marignac se balade entre le Colorado, la Russie et l’Ukraine. Son art de rendre coups pour coups aux ultimes soubresauts d’un monde en morceaux ne connaît ni les frontières, ni les genres. Il achève en effet un polar pour la Série noire et publie deux novellas chez ActuSF : Maudit soit l’éternel ! et Dieu n’a pas que ça à foutre …
Papier paru dans L'Opinion indépendante, le 20/06/08

A (re)découvrir #1 : Alain Page

Auteur prolifique au Fleuve noir dans les années 60, scénariste de La piscine - film de Deray réunissant Romy Schneider, Alain Delon et Maurice Ronet -, Alain Page nous touche avant tout par la grâce d’une histoire d’amour et de mort, de culpabilité et d’impossible rédemption. Publié en 1982 chez Denoël, Tchao Pantin s’ouvrait sur des mots qui, longtemps après, ne lâche pas le lecteur : «La nuit, c’est le dernier salon où l’on cause. La nuit, on perd son identité, ses origines, ses racines. La nuit, on est tous de la même couleur. Un peu gris, un peu noirs, c’est selon. On flotte entre chien et loup, entre ailleurs et nulle part.» Le succès du beau film que Claude Berri tira du roman, mais aussi la discrétion de Page, ne doivent pas occulter le reste d’une œuvre où un styliste hors pair écrit comme d’autres chantent le blues. Une patte qu’on retrouve notamment dans Sang d’enfer (Flammarion), plongée particulièrement noire dans un Paris canaille, et dans Je suis rien (Cherche-midi), récit de l’initiation à la beauté d’un rejeton de Mai 68.
Papier paru dans L'Opinion indépendante, le 20/06/08

mardi 17 juin 2008

En attendant NUIT GRAVE ...

Jean-Michel Aulas est, évidemment, toujours un enculé
Muse et "musette" mimosa sont à croquer
Dans le supplément "livres" du Quotidien de Paris, au début des années 90, Bertrand de Saint-Vincent faisait écrire Jean-Marc Parisis, Olivier Frébourg, Jérôme Leroy, Frédéric Berthet
Le mot "élitiste", reproche dans la bouche des marchands du temple, me fait gerber
Les starlettes grassouillettes de la télé devraient mieux choisir leurs soirées
Des morts très vivants : Françoise Sagan, Bernard Frank, Arnould de Liedekerke, Paul Gégauff, Jean-Michel Gravier
Un "vivant" sans qualités : Eric Naulleau, épinglé d'une flèche par Patrick Besson : "Naulleauté".
Les accidents automobiles laissèrent toute une génération inconsolée
Remember Françoise Dorléac, Jean-René Huguenin, Jean Bruce, Albert Camus, James Dean, Roger Nimier
Un supplice reste à inventer pour calmer la morgue de tous les rejetons d'HEC
Une obsession inchangée : dire l'émotion que provoque la grâce trash d'un bas effilé
Les jeunes filles, portant talons et manteau rouge, sont les plus belles pour aller danser
"Elle court, elle court ... la nuit" : comment la rattrapper ?

vendredi 13 juin 2008

Françoise Sagan par-delà l'oubli

Les éditeurs français avaient beaucoup à se faire pardonner. Le jour de l’enterrement de Françoise Sagan, aucun d’entre eux ne daigna se déplacer pour lui adresser un ultime salut. Un manque de classe que rattrape en partie, quatre ans plus tard, l’action conjuguée des éditions Julliard et des éditions de L’Herne. Les premières republient neuf romans de Sagan, période 1954/1991, tandis que les secondes nous offrent, dans sept jolis carnets à la couverture noire et aux titres évocateurs, les textes qu’elle n’a cessé de donner à la presse : portraits, critiques ou interviews – genre où Sagan excellait. C’est l’occasion de retrouver un écrivain qui ne fut jamais là où les critiques l’attendaient. Attaquée à ses débuts, pour être arrivée trop tôt et trop vite en haut de l’affiche, elle fut ensuite embaumée dans la posture de «la comtesse aux pieds nus» des lettres, avant d’être lâchée par presque tous au moment où, anéantie par le fisc et ses excès, elle ne pouvait plus écrire. Une singulière trajectoire qui ne doit pas faire oublier l’essentiel : un style unique où l’émotion affleure sur le fil des sentiments ambigus. Ce qu’Antoine Blondin, frère en dérives et légèreté mélancolique, traduisait par ces mots : «Avant d’être un miracle ou un scandale, ce qui revient à peu près au même, Sagan, c’est d’abord une œuvre.» Pour en être convaincu, il suffit d’ouvrir aujourd’hui des chefs d’œuvre comme Aimez-vous Brahms…, La Chamade ou, bien sûr, l’inégalé Bonjour Tristesse dont la première phrase possède la grâce d’une intime révélation : «Sur ce sentiment inconnu dont l’ennui, la douceur, m’obsède, j’hésite à apposer le nom, le beau nom grave de tristesse.»
Papier paru dans L'Opinion indépendante, le 13/06/08

Marie-Dominique Lelièvre nous parle de Sagan

Après deux romans remarqués - Martine fait du sentiment et Je vais de mieux en mieux - et une biographie de Serge Gainsbourg, pourquoi avoir choisi de vous intéresser à Françoise Sagan ?
Sagan, c’est le mythe de la gloire immédiate : l’attaque éclair de Bonjour Tristesse à 18 ans, immédiatement best-seller, des prix littéraires, une célébrité internationale instantanée. Le rêve de beaucoup d’adolescents. Comme Gainsbourg, Sagan est une figure majeure de la société française. Par son art de vivre solaire, elle a influencé et accompagné ses contemporains pendant plusieurs décennies. Sagan est une héroïne, comme Zidane aujourd’hui : par ses postures et ses prédilections, elle anticipe celles d’une génération et trace un chemin.
Ecrire sur Sagan a-t-il confirmé votre impression première sur l’écrivain et sur le personnage public qu’elle incarnait ?
Je n’avais pas d’a priori sur elle, seulement de la curiosité. J’ai toujours été intrigué par la maîtrise de Bonjour tristesse, chef-d’œuvre de concision écrit par une adolescente. Durant trois ans, j’ai enquêté auprès des ses amis, de sa famille, de ses secrétaires, de sa banquière… J’ai visité ses maisons, exploré sa bibliothèque, et même dormi dans son lit. J’ai relu toute son œuvre, consulté sa correspondance, décrypté des interviews, ses dessins d’enfant. La première chose qui m’a frappée, c’était l’intelligence extrême de cette gamine, sa vivacité hors norme. Même dans sa famille, où elle était la plus jeune, elle menait son monde avec un sens de la répartie singulier. Sagan possédait un merveilleux regard qui tenait sous le charme. Elle obtenait ce qu’elle voulait, même à la fin de sa vie, diminuée. Et puis elle était bonne, aussi : elle avait le cœur intelligent.
On évoque souvent l’expression «petite musique» pour qualifier l’écriture de Sagan. En dépassant cette formule, pourtant très parlante, comment définiriez-vous son style ?
«Petite» musique ? Pourquoi «petite» ? L’écriture de Sagan est musicale, ses phrases ont une scansion particulière. Jean-Louis de Boissieu, professeur à la Sorbonne, spécialiste du XVIIe siècle et de La Fontaine, pense que cette musique emprunte en partie au bégaiement qui caractérise le phrasé de Sagan : une bègue pop.
Quels sont, selon vous, les livres les plus emblématiques de cette “patte” Sagan ?
Aux adolescents, j’offre Bonjour Tristesse et Des Bleus à l’âme. Le premier, parce que tous peuvent s’identifier à Cécile, son héroïne en vacances, confrontée à sa nouvelle belle-mère. Et puis les jeunes lecteurs ne peuvent qu’être bluffés par l’écriture concise d’une fille de leur âge, même s’ils lisent peu. Le second, parce que pour la première fois Sagan y parle d’elle-même et montre le roman en train de se construire. Pour ma part, j’aime Avec mon meilleur souvenir…, recueil de portraits où la bonté, la générosité de Sagan illuminent chaque page. En ce moment, j’offre New York, le petit recueil de reportages que les éditions de l’Herne ont eu la bonne idée de publier. Et je pioche, au hasard, dans la collection Bouquins.
Presque quatre ans après sa mort dans une totale indifférence éditoriale, Sagan est aujourd’hui massivement rééditée. Un film de Diane Kurys la ressuscite également. Que vous inspire ce retour en grâce tardif ?
Aucun éditeur n’a assisté aux obsèques de Sagan, en 2004. Pourtant ses livres n’ont jamais disparu des librairies ni des bibliothèques françaises. On trouve l’intégrale de ses romans en collection Bouquins, qu’avait édité son ex-mari, Guy Schoeller. Mais de son vivant, sa situation financière a paralysé les éditeurs. Si Julliard republie certains romans de Sagan, c’est parce que Denis Westhoff, son fils, a accepté la succession de sa mère. Un pari assez fou, car elle ne lui a laissé qu’une colossale dette fiscale. Ce qui manque, à présent, c’est la réédition en poche pour les jeunes lecteurs. On ne trouve toujours pas Des Bleus à l’âme, ni en poche ni en grand format, sauf sur quelques sites de livres d’occasion.
En vous lisant, on a l’impression d’assister à la mort lente d’un vieux monde où légèreté et profondeur se mêlaient gaiement. Dans quelle mesure Sagan vous paraît-elle emblématique de ce passage du temps ?
Mon livre est publié à une période où le monde semble pesant, désenchanté, par manque de visibilité. Où est passée l’insouciance ? Je ne sais pas... L’épopée de Sagan se déroule, elle, sur fond de prospérité économique dans une France encore rurale gouvernée par des grandes personnes. La France se modernise, l’Etat Providence est en forme, le chômage n’existe pas. A la tête du pays, des hommes d’états responsables offrent une image protectrice. Sagan anticipe le mouvement : les Français rêvent d’acquérir une auto ; avec ses premiers droits d’auteur, elle s’offre une Aston Martin. Ils rêvent de vacances à la mer : elle loue une maison à Saint-Tropez et y invite tous ses copains. Mais elle a aussi influencé la société d’aujourd’hui. Sagan a été la matrice d’un type qui a fait école, celui de l’enfant-roi. Par son mode de vie hédoniste et son goût du jeu, elle préfigure les années Sarkozy : la jouissance à tout prix, le travail sans contraintes, l’argent claqué en choses inutiles, les voyages, le jeunisme, la fête… Dans les années Sagan, on pouvait se dépenser avec légèreté, parce que la société française semblait stable. Sa génération ne jerkait pas au bord du vide. Il n’y a plus de grandes personnes, pour citer Malraux. Il ne faut toutefois pas idéaliser les années 70. Sagan et ses amis regrettaient d’ailleurs d’avoir manqué les années 20… Et redoutaient secrètement une nouvelle guerre avec usage de l’arme atomique.
Vous parlez des amis de Sagan. Au coeur de sa vie et de votre biographie, on retrouve la figure, à la fois discrète et omniprésente, de Bernard Frank. Comment caractériser le lien qui les unissait ?
Une tendresse gratuite qui a duré toute leur vie. Ils s’aimaient, tout simplement. Lorsque un soir, Bernard Frank m’a dit : «Françoise était la femme de ma vie», j’ai cru tenir un scoop… Puis j’ai appris que plusieurs femmes, dans sa vie, s’étaient disputées le titre. Ce n’était pas une relation amoureuse. Sagan n’était pas le type de Bernard, attiré par des femmes du monde, plus âgées que lui. Et il n’était pas le type de Sagan, qui après avoir aimé, outre les femmes, les hommes mûrs, leur préférait les voyous, comme certaines bourgeoises. Ils avaient une règle : ne jamais commenter la vie amoureuse de l’autre. Du reste, ils s’épanchaient peu, ayant l’amitié pudique. Sagan, modeste et peu sûre de son talent, considérait que des deux, c’était lui le grand écrivain. Et il se laissait penser qu’elle n’avait pas tort…
Quelle trace laissera Françoise Sagan dans le petit monde des lettres et quels sont les écrivains qui vous paraissent marcher sur ses pas ?
À chaque fois qu’un lecteur ouvre Bonjour tristesse, Sagan ressuscite. Elle est très proche des gens, avec une écriture très simple : lorsqu’on la lit, elle est présente. Elle rend ses lecteurs heureux. Ses successeurs ? Des auteurs parisiens imitent son mode de vie, la coke, le night-clubbing… Mais nous rendent-ils heureux ? Des héritiers de Sagan, il y en a dans le rock, c’est sûr. Devant la grâce juvénile d’un groupe comme les Shades, avec sa maturité musicale, on ressent l’émotion qu’on dû éprouver ceux qui rencontrèrent Sagan en 1954. Le chanteur, Benjamin, qui écrit des textes brillants, a dix-sept ans et Harry, le batteur, 16 ans. Vous voyez, il y a encore des étoiles qui scintillent…
Marie-Dominique Lelièvre, Sagan, à toute allure, 348 pages, Denoël.
Interviouve parue dans L'Opinion indépendante, le 13/06/08

lundi 2 juin 2008

D comme ... Damages, Dexter

Pour celles et ceux qui aiment les séries, la flatterie et tutti quanti ... Papiers parus dans L'Opinion indépendante, en mai 2008 : http://www.lopinion.com/public/lopinion/html/fr/semaine/public.php?article=3

Damages :
La marquise de Merteuil est aujourd’hui une avocate de renom. Glenn Close, figure centrale de Damages dans le rôle de Patty Hewes, pourrait lancer, telle l’héroïne de Laclos qu’elle incarna dans Les liaisons dangereuses : «Et maintenant, la guerre !» Damages est avant tout une histoire de guerre qui nous entraîne sur un champ de bataille d’un genre particulier : les cabinets juridiques. A New York, Patty Hewes est une froide tueuse des prétoires voulant la peau d’Arthur Frobisher, un homme d’influence. Afin de gagner ce combat, elle engage une jeune juriste ambitieuse, Helen Parsons, qu’interprète l’exquise Rose Byrne. Dès les premières images, elle apparaît ensanglantée, errant dans la rue simplement vêtue d’un imperméable vert. Grâce à de multiples flash-back baignant dans une lumière crépusculaire, nous la retrouverons ensuite six mois auparavant. A un moment, parée d’un caraco rose, Helen se sert un verre de whisky avec, dans la tête, une question de vie ou de mort : pourquoi Patty Hewes la manipule-t-elle ? Une affaire, au charme vénéneux, à suivre …
Dexter :
Showtime - productrice notamment de Weeds, The L World ou The Tudors - l’a fait : avec Dexter, le serial-killer est devenu un héros de série télévisée. Né de l’imagination du romancier Jeff Lindsay, Dexter Morgan a tout du bon garçon. Talentueux expert du service médico-légal de la police de Miami, en charge de l’analyse des prélèvements sanguins, petit ami délicat, frère attentionné, il est pourtant un lointain cousin du Patrick Bateman de Bret Easton Ellis. Le générique de Dexter, à la fois minimaliste et organique, laisse entrevoir la complexité d’un personnage dont l’absence apparente d’émotions évoque parfois le Samouraï de Melville. Dexter est habité par une violence que, depuis l’enfance, il ne peut contenir et qu’il évacue en exécutant, avec un art chirurgical de la liturgie meurtrière, des criminels impunis. Commentant ses actes en voix-off, quêtant ses proies autant qu’il se cherche lui-même, Dexter nous offre une singulière échappée dans la tête d’un tueur qu’interprète Michael C. Hall, connu pour son rôle dans Six feet under.

dimanche 1 juin 2008

La guerre du goût de Bertrand de Saint-Vincent

De A comme « Abbé Pierre » à Z comme « Zapper », il existe tout un monde aux contours flous. Le nôtre, que Bertrand de Saint-Vincent met à nu et maltraite dans ses Fragments d’impertinence. Le mâle d’aujourd’hui, connecté sans interruption à son portable et au ouèbe, aime y prendre le pouls du CAC 40 – « la météo des riches » - tout en cherchant une femme qui, année après année, ne cherchera qu’à rajeunir pour ressembler à Barbie. Il lit Beigbeder, Sollers et Houellebecq ; est abonné aux Inrockuptibles, « magazine culte, surtout aux yeux des journalistes qui y collaborent. » Il a arrêté la cigarette, trouvant plus hype de se poudrer le nez de cocaïne – « l’électricité des branchés ». Il a peur de son prochain, de sa prochaine et des réactionnaires qui freinent le progrès. On en est là, dans une France devenue « l’un des musées les plus fréquentés du monde ; et le seul où l’on puisse entrer sans billet. »
Saint-Vincent, chroniqueur au Figaro, appartient-il pour autant à la longue cohorte des déprimistes et autres déclinologues ? Un homme qui cite Valery Larbaud, Alexandre Vialatte et Pierre Desproges ne s’abreuve pas à cette source. « Désespérer, c’est encore une manière d’espérer », écrit-il d’une plume qui n’est pas sans rappeler celle de François Taillandier dans Ce monde-là, dictionnaire personnel de l’époque. L’auteur ne cache pas qu’il se fait une certaine idée de notre « cher et vieux pays », où un savant mélange de légèreté et de profondeur renvoie à ce qu’il faut bien appeler le style. Son premier ouvrage n’était pas pour rien consacré à Jacques Laurent, homme pressé dont les phrases sèches et élégantes avaient la grâce d’un costume en lin légèrement froissé. A la suite du hussard en chef, Saint-Vincent perpétue l’esprit frondeur et l’art aristocratique de déplaire.
Du bobo roi à l’usage immodéré des antidépresseurs comme rempart à une réalité invivable, de la dérision obligatoire à l’apologie permanente de la transparence, en passant par l’exécution de quelques morts-vivants contemporains, il use de l’Abécédaire comme d’une arme de précision – un fusil à lunettes. Fragments d’impertinence signe ainsi de nouvelles mythologies, que Roland Barthes ne renierait pas, et nous venge des outrages subis par ce qui reste, ici-bas, de beauté. Au hasard des évocations de Saint-Vincent : Bardot inoubliable dans Et Dieu créa la femme, le souvenir de Bernard Frank et Françoise Sagan, Message personnel de Françoise Hardy, la poésie triste des sacs en plastiques, Isabelle Adjani dans L’été meurtrier et la rencontre improbable d'une femme de notre vie, qu’on souhaiterait pouvoir appeler encore longtemps « mademoiselle » : « Si la blonde a les yeux clairs, c’est un iceberg ; elle fondra dans vos bras et vous laissera le cœur glacé. Si la brune a le regard foncé, c’est un gouffre. Vous y tomberez et vous aurez un mal fou à vous en extirper. A partir d’un certain âge, toutes les femmes sont blondes. »
Bertrand de Saint-Vincent, Fragments d’impertinence, 217 pages, Plon.

Papier paru dans L'Opinion indépendante, le 31/05/08