mardi 30 novembre 2010

Bienvenue dans la jungle - ils sont votre épouvante et vous êtes leur crainte


Alors que France Tv diffuse l'adaptation, par Emmanuel Carrère, de Ils sont votre épouvante et vous êtes leur crainte - sous le titre Fracture -, il faut relire urgemment le roman magnifique de Thierry Jonquet. Une vision noire et percutante des banlieues de notre « cher et vieux pays » dont j'avais parlé, à l'époque, dans L'Opinion indépendante.
Sous sa couverture noire au titre rouge sang, Ils sont votre épouvante et vous êtes leur crainte de Thierry Jonquet nous parle d’une France en lambeaux. Un lopin de béton où tout est mal-en-point, les villes comme les corps. Nous sommes à Certigny dans le 9/3. Certigny et ses quartiers aux noms anonymes post-modernes : les Sablières, les Grands-Chênes, la Brêche-aux-loups. Dans des immeubles qui pourrissent, les corps s’entassent. Des Blacks, des Arabes, quelques Blancs. A Certigny, chacun cherche à fuir l’ennui qui, comme les ferrailleurs du jour, repeint l’âme en gris. Les plus vieux picolent en rentrant d’un boulot qu’ils n’aiment pas. Ils matent – un peu honteux - des revues porno pour oublier une femme repartie au bled. D’autres trafiquent – dans la drogue ou la prostitution. D’autres encore, de plus en plus nombreux et de tous âges, prient en s’imaginant à Bagdad sous les bombes, ou à Gaza. Le Djihad, pour eux, est ici et maintenant, au cœur de la cité. Même les plus jeunes y croient en lisant des brochures interdites à la vente ou en regardant sur Internet les têtes tranchées des «croisés». Face aux flics de la BAC, face aux CRS, ce sont des guerriers du cocktail Molotov et de la voiture qui flambe.
Ils sont votre épouvante et vous êtes leur crainte met en scène des voix qui se frôlent mais s’accordent rarement. Des voix dont le seul lien paraît être le désespoir. Une mère dépressive se voit refuser l’internement de son fils, avant que celui-ci ne décapite sa voisine. Des gamins accros à la Star Academy s’envoient, sur leur téléphone portable, des clichés de la tête du cadavre. Un substitut du Procureur, fin lecteur de Hugo et de Marx, jure d’avoir la peau des caïds du quartier. Les mêmes caïds, aveuglés par leur petite gloire locale, s’éliminent les uns les autres, laissant la place à des « Grands frères » qui ne rêvent que d’Apocalypse. Dans la cour du collège Pierre-de-Ronsard, des Blacks cognent des Arabes au nom de la cause du peuple noir. Au nom d’Allah et de l’Imam du quartier, les représailles ne tarderont pas. De retour en classe, tous se retrouvent pour désigner les responsables de leurs malheurs : « Les feujs ! ». Mais qui sont les « feujs », demande une jeune professeur de français ? La réponse fuse : « Ceux qui nous pourrissent la vie ! Ceux qui tuent des enfants musulmans ! ». La prof ne trouve rien à répondre. Elle se souvient des récits de son père juif athée militant et des « Mort aux juifs ! » entendus, il y a peu, lors d’une manifestation contre la guerre en Irak. Autour d’elle, la plupart de ses collègues se taisent. La gêne, le ras-le-bol, l’envie d’en finir avec un quotidien impossible. Quant à ceux qui parlent, ils n’ont, en bouche, que des mots d’ordre syndicaux et des désirs de pétitions.
Chez Jonquet, les nerfs sont à vif et le bitume sent la poudre. Un fait-divers tragique allumera la mèche : la mort de deux jeunes garçons, électrocutés après une course-poursuite avec la police. C’est désormais le temps des pierres, des flammes et des vengeances inutiles. Blacks, Arabes ou Blancs, « feujs » ou musulmans, tous seront bientôt perdus définitivement. Emportés par l’horreur triste des jours criminels.

samedi 20 novembre 2010

Pour oublier Dantzig, lire Frédéric Martinez et Paul-Jean Toulet ...

Dandy de foires du livre se rêvant Truman Capote – un Truman Capote sans De sang froid, sans Marilyn et sans poudre blanche -, Charles Dantzig est un pédant ridicule. A la manière de Philippe Besson avec lequel il partage les lunettes, la coupe de cheveux et le statut de directeur de conscience pour Marc-Olivier Fogiel et Claire Chazal. Il est donc d’autant plus intéressant de rappeler que Dantzig fit son apparition, au début des années 90, dans L’Idiot International, le gueuloir très foutraque de Jean-Edern Hallier. Peu en vue entre les signatures de Patrick Besson, Gabriel Matzneff et Marc-Edouard Nabe, Dantzig évoque rarement cette époque, sauf pour décréter qu’il imposa Houellebecq dans les colonnes de L’Idiot.
Dantzig, cette « tête de mort » (Guy Debord)…
Dantzig est toujours cet arriviste – genre Séguéla appointé par Grasset – qui cherche les signes extérieurs d’un pouvoir minuscule. Quand la mode est aux dictionnaires, il torchonne le plus gros de tous. Son Pavé égoïste de la littérature épate les bobos et les babas. C’est rempli de bêtises sur Blondin, Céline, Bloy, Montaigne entre autres. Et l’idée est piquée, de loin, à Jacques Brenner et Kleber Haedens et, de près, à Hallier qui publia jadis en feuilleton un Dictionnaire injuste de la littérature.
Après les dictionnaires, les Miscellanées se multiplient. Dantzig récupère ses listes de courses, recopie quelques carnets et griffonne à vue une Encyclopédie capricieuse du tout et du rien de presque mille pages que personne ne lit – au mieux, elle est feuilletée avant de faire très mal en tombant. A l’occasion, Dantzig fait office de guide touristique du 7e arrondissement parisien, cite des titres de romans en VO et parle de quelques écrivains, certes trop oubliés : Frédéric Berthet, Remy de Gourmont ou Jean de la Ville de Mirmont. Paul Gégauff l’intéresse aussi mais sent trop le soufre. Dantzig se veut sur les photos de famille mais il n’ira pas jusqu’à se griller avec les grands cramés. Son Pourquoi lire?, défense d’un insipide art de la lecture, en apporte une nouvelle illustration. Pose et prose de curé en chaire, c’est un livre pompier qui n’allume aucune mèche. Des simagrées sur Duras, Gérard de Villiers moqué, Proust lu dans l’herbe et c’est tout. Auteur cuculte, Dantzig lorgne du côté des stylistes cultes, ce qu’il n’est pas. Contrairement à Paul-Jean Toulet.
Des poètes nommés Toulet et Martinez
Toulet, à orthographier Too Late comme lui-même aimait le faire, est un des personnages d’ Aux singuliers – Les excentriques des Lettres de Frédéric Martinez. Avec d’autres sacrés numéros parmi lesquels le fou en exil mexicain Artaud, l’ombrageux Malherbe, l’aventurier Malraux ou Henry IV amoureux fou de Charlotte de Montmorency comme Nerval l’était de la comédienne Jenny Colon.
Pas étonnant que Martinez, dans ses ouvrages précédents, se soit intéressé à Jimmy Hendrix et Claude Monet et que les Cartes postales de Henry Jean-Marie Levet, le « diplomate globe-trotter », ne quittent jamais sa poche.
Martinez, c’est l’anti-Dantzig : chez lui, rien ne pèse et tout cogne aux carreaux des sens. Son Prends garde à la douceur des choses, en 2008, était déjà une merveille de braconnages élégants sur les pas de Toulet. Et Martinez, à travers quelques pages de ses Excentriques, ne lâche pas les semelles du poète des Contrerimes qui, dans une des lettres à lui-même qu’il se postait des quatre coins du globe, écrivait : « Ce que j’ai aimé le plus au monde, ne pensez-vous pas que ce soit les femmes, l’alcool et les paysages ? »
Toulet, c’est cet homme de 53 ans qui, à Guéthary, se promène au bord de l’océan, regardant en face le soleil et la mort. Il se souvient des nuits enfumées de Paris avec Curnonsky et Léon Daudet, des aubes éthyliques en Alger et sur l’île Maurice, des fusées allumées dans le gras de pavés à l’eau de rose écrits pour monsieur Colette, le sieur Willy, et de quelques silhouettes dont la grâce flirte avec son soufre au coeur. J’aime les filles : chanson de Dutronc et, dixit Frédéric Martinez, écho de la vie pressée, des passions de Toulet.
Les filles, héroïnes de joie et de tristesse, sont en effet les grains de beauté sur la peau douce des mots de Toulet. Dans ses romans – Mon amie Nane, La jeune fille verte -, dans ses contes légers comme des volutes de blondes – Touchante histoire de la jeune femme qui pleurait, que réédite L’Arbre vengeur – et dans ses poèmes à offrir sans fin à la plus délicate des apparitions :
« Toute allégresse a son défaut
Et se brise elle-même.
Si vous voulez que je vous aime,
Ne riez pas trop haut.
»

jeudi 18 novembre 2010

Remember BB 60

C'était en juillet sur Causeur.fr, c'est ici maintenant. L'été, encore ...

L’été, c’est le soleil, des lunettes noires, un bikini, la plage.
L’été, c’est Bardot, son apparition sur le port de Saint-Tropez dans Et Dieu créa la femme, toutes ses apparitions depuis, « sur l’écran noir de nos nuits blanches ». Dans Le Mépris bien sûr – « Et mes fesses ? Tu les aimes, mes fesses ? » – ; dans Les femmes, merveille tournée en 1969 par Jean Aurel, scénarisée par Cécil Saint-Laurent, avec Maurice Ronet.
L’été, c’est B.B. quand elle chante « Coquillages et crustacés », « La Madrague » ou les bonbons sensuels offerts par Gainsbourg.
L’été, enfin, c’est B.B. dans les mots légers et profonds de François Nourissier.
A la fin des années 50, Nourissier considère qu’il n’a encore rien publié de bon. Un petit bourgeois, premier de ses romans qu’il appréciera quelque peu, viendra plus tard, en 1963. En attendant, il dirige la rédaction de La Parisienne et traîne son spleen de jeune éditeur à la foire de Francfort. Perdue au milieu des livres insipides, une couverture le cogne. Etalé sous ses yeux : « Le corps négligé, impudique et rieur (mais oui, rieur) de Brigitte Bardot ». Le texte de cet ouvrage italien est signé Simone de Beauvoir. De retour à Paris, Nourissier la contacte pour lui proposer une réédition en français. Beauvoir est gênée, bafouille, parle d’impôts, fuit. Nourissier demande alors à Roger Vailland, à Pieyre de Mandiargues et Paul Morand si le sujet Bardot les intéresse. Tous refusent, laissant à notre seule imagination le plaisir d’esquisser leurs mots sur la silhouette de BB. C’est donc Nourissier qui, en quelques pages, va sculpter Bardot telle qu’elle est à jamais dans nos mémoires : une mythologie française, c’est-à-dire une Star, ce claquement de langue qui évoque une étoile pendue au cou d’une nuit de pleine lune.
La beauté, ce beau souci…
La grande question de l’époque, à la Une des magazines, est : « Faut-il brûler B.B. ? »
Avec la classe infinie du styliste, Nourissier répond d’entrée en amoureux des courbes sensuelles et en puncheur précis : « De toutes les armes que nous offre la vie quotidienne pour régler ses comptes à la sottise, la jeunesse et l’impudeur d’une femme sont les plus douces. » L’air de rien, il ne lâchera plus, ni B.B., ni ceux qui ne voient en elle qu’une écervelée insignifiante. A sa jolie héroïne de France, il réserve ses émerveillements et son oeil bleu délicat ; aux autres, il dit l’urgence de la grâce qu’ils ne connaîtront jamais, eux qui préfèrent celles que Paul Gégauff nommait « les bonnes femmes ».
Pourquoi Bardot, hier comme aujourd’hui ?
Lire et relire Nourissier, se mettre en bouche les lignes de beauté qu’il trace : « Que l’on caresse du regard, vite, les images innombrables de Bardot ; que l’on profite vite d’un plaisir innocent, car, sitôt les yeux relevés, on les posera sur un monde de lèvres et de visage clos. L’énorme bêtise des hommes d’Occident devant le sexe et devant leur désir éclate en de certaines occasions. L’aventure Bardot en est une. S’il n’existait aucune autre raison de l’aimer et de bavarder un peu librement sur le compte de cette belle personne, la seule envie de faire acte de présence y suffirait. J’entends la seule envie d’être parmi ceux qui l’auront dit : la beauté n’est pas honteuse, la beauté a des droits, nous devons respecter en elle une dignité d’avant la faute, joueuse et familière. »
Et à la fin de l’envoi, B.B. ancrée dans les coeurs battants et Nourissier terriblement vivant loin de cette Miss P. qui le fait crever lentement, se souvenir que : « Sous la mythologie, sous l’entreprise et le triomphe publicitaires, il existe ce miracle gratuit et parfaitement injuste : les privilèges d’une petite fille née belle. »

mardi 2 novembre 2010

Hello tristesse


Les larbins, pour reprendre le scud envoyé par Jean-Luc Mélenchon, sont souvent des journalistes. Et quand il s’agit de littérature, le larbin est soit un roquet – Yann Moix, lorsqu’il ne défend pas courageusement Polanski – soit un nain rockuptible, culturel et branché, politique mais pas trop, intransigeant toujours. Sauf devant Houellebecq et Ellis.
Le nain rockuptible ne se rend pas compte que Ellis, comme Houellebecq, se gausse des ronds-de-jambes interminables et de la jouissance si peu intime du journaliste qui se croit accepté dans le royaume du « grantécrivain ». Tout ça parce que le nain a eu le privilège de voir son maître allumer des cigarettes dans un lieu non-fumeur et ouvrir une canette de redbull dans un loft de la Cité des Anges.
On en est là : le loft et le redbull font le papier. Ce qui évite de fouiller la carcasse des hommes et des mots.
Golden boys à bout de souffle
Avec Suite(s) Impériale(s), Ellis nous parle d’hier et d’aujourd’hui, c’est-à-dire des soubresauts désabusés d’un monde déjà mort au milieu des années 1980. Dans son entreprise, il n’est guère éloigné d’Oliver Stone replongeant Gordon Gekko, sorti de prison, dans l’enfer de Wall street.
Vingt-cinq ans après, Ellis retrouve Clay, le héros de son premier roman Moins que zéro, entre autres ombres plus ou moins vivantes de la vieille jeunesse dorée de Los Angeles : « Ils avaient fait un film sur nous. Le film était adapté d’un livre écrit par un type qu’on connaissait. Le livre était un truc simple: quatre semaines dans la ville où nous avions grandi et c’était un portrait assez juste, pour l’essentiel [...] Par exemple, il y avait vraiment eu une projection d’un snuff film dans cette chambre de Malibu, un après-midi de janvier, et oui, j’étais sorti sur la terrasse qui donnait sur le Pacifique, et c’était là que l’auteur avait essayé de me consoler en m’assurant que les cris des enfants torturés étaient simulés, mais il avait souri en disant ça et j’avais dû m’éloigner. »
La mise en bouche d’Ellis, glacée et très tranquille, ravive l’écho des mots de Fitzgerald à Hemingway : « Les gens riches sont différents de vous et moi. » Et le souvenir, aussi, de Bright lights, bright city de Jay McInerney. Sur le fumier de l’Amérique de Reagan, les golden boys ont cru réaliser leurs rêves minuscules, oubliant qu’ils étaient perdus depuis longtemps. Toujours plus d’argent, de coke, de filles faciles, de paillettes, de mauvais alcools. Leur histoire ne se répète qu’en farce tragique. Et ils n’ont pas lu Marx, et la mélancolie peine à percer sous le masque de la paranoïa. Pourtant, dixit Ellis dans Suite(s) impériale(s): « La tristesse : elle est partout. »
Elle suinte, en effet, de chaque page de ce roman noir, seconde peau de l’auteur qui, bien plus que dans l’autobiographique et fantasmé Lunar Park, met son coeur à nu. Si le Patrick Bateman de American psycho, c’était lui, Clay c’est encore Ellis. Scénariste à Hollywood parce que les filles n’aiment plus les écrivains, il joue de son éphémère pouvoir pour draguer profs de gym, apprentie actrice et call girl du ouèbe. Idiot inutile et pervers de la grande machine à broyer les êtres, il tombe amoureux. Ca fait partie du jeu et de la panoplie. Elle s’appelle Rain, veut un rôle dans une série qui n’existera jamais, ne croit qu’à la gloire et à la beauté. Entre elle et Clay, il y aura des promesses non tenues, du sexe en pleine débâcle, la peur qui obsède, des rails de poudre et du gin, et la mort comme une Jeep aux vitres teintées en arrêt devant le Doheny Plaza.
Que sont devenus les golden boys ? Ils sont à bout de souffle, illusions définitivement crevées. A la fin de Suite(s) Impériale(s), exorcisme ou balle dans la tête, cette phrase : « Je n’ai jamais aimé personne et j’ai peur des gens. »

Bret Easton Ellis, Suite(s) Impériale(s), Robert Laffont, 2010
Papier paru sur Causeur.fr le 1er novembre 2010