jeudi 30 décembre 2010

La possibilité d'une île

Pour suspendre le temps et oublier la nouvelle minuscule fin du monde qui se pointe, avant pendant après l'amour, nous fumerons des cigarettes blondes, nous boirons du champagne - Drappier zéro dosage -, du vin blanc, un Cheverny de chez Villemade ou un Pupillin d'Overnoy, par exemple, comme ces bouteilles bues avec le camarade Leroy au Jeu de quille - 45 rue Boulard Paris XIVe, nous parlerons de la grâce des apparitions et des jolis hasards du beau bizarre et, sourire aux lèvres, nous écouterons la bande-son des douces ivresses de toujours :


Louise Feron - Tomber sous le charme

Jil Caplan - Natalie Wood

Guesch Patti - Etienne

Niagara - L'amour à la plage

Anna Karina / Serge Gainsbourg - Ne dis rien

Marie Laforêt - L'amour comme à 16 ans

Hervé Villard - Nous

C Jérôme - Et tu danses avec lui

Françoise Hardy - Peut-être que je t'aime

Christophe - Oh mon amour
Christophe - The girl from Salina

Creezy


Certaines fins d'année nous rappellent un bel été.
Sydne Rome sortant de l'eau, par exemple, ne nous est pas inconnue.
Sydne Rome sort de l'eau comme, seules, les plus belles apparitions savent le faire.
Chevelure harnachée de gouttes, visage offert plein soleil, cou conservant l'empreinte des baisers liquides, seins légers, sexe révélé ou masqué d'étoffe, poésie de l'ombre noire sur la blancheur désirable de la peau, hanches affoleuses des sens, compas sexy des jambes.
Nous sommes au bord d'un lac, un après-midi du mois d'août.
Nous sommes dans un monde d'avant qui ne meurt pas.
Sydne Rome, dans La race des seigneurs de Pierre Granier Deferre, s'appelle Creezy.
C'est le titre du roman de Félicien Marceau qu'a adapté, en 1974, Pascal Jardin.
Pensant à Creezy, Julien Dandieu, le personnage qu'incarne Alain Delon, glisse ces mots : "Elle me bouleverse, je l'aime."
Certaines fins d'année, décidément, nous rappellent un bel été.

Fugue en motocyclette


Là-bas, la pluie, des roses pas encore mortes et ce gris du ciel, teinté du bleu des tempêtes, qui n'appartient qu'à la fin de la terre.
Ma fille, dans sa chambre, lit des contes illustrés de Pierre Gripari.
Là-bas, sur l'écran fatigué, le monde d'avant a les lignes sensuelles de la silhouette de Stéphane Audran dans Les biches et La femme infidèle, des jambes de Claude Jade dans Domicile conjugal.
Au loin, un homme que j'aime beaucoup écoute son coeur se réveiller lentement.
Là-bas, les mots d'André Pieyre de Mandiargues - Le lis de mer, La motocyclette.
Au téléphone, ta voix est noyée dans les sanglots de l'épuisement, de la mémoire en fuite et du temps des douleurs imposées.
Là-bas, la fumée des cigarettes efface d'un souffle la tristesse crevée de violences.
Sous l'oeil d'une dormeuse de Lempicka, rue du Douanier Rousseau, tes lèvres embrasent les baisers de l'aube.
Là-bas, les corps mêlés d'Alain Delon et Marianne Faithfull sont une fugue à la pointe de ta langue, de tes seins, dans le palace de ton cul.
Sous les caresses retrouvées, la petite musique du plaisir te dit
que le père Noël - qui n'existe pas dixit Les Chanteuses et Frédéric Beigbeder - s'est pris une balle pleine nuque
que l'homme que j'aime beaucoup - ton papa - nous attend
que j'ai très envie de boire, chaque petit matin d'hiver, là-bas et rue du Douanier Rousseau, l'amour fou à la source de tes cuisses.

jeudi 23 décembre 2010

BRIGITTE FONTAINE : DURA LEX "LE CLIP" (ALBUM PROHIBITION)




Sur les décombres : chanter, danser, fumer, baiser, caresser, boire, embrasser, cracher, faire tourner les tables, allumer la mèche des désirs ...

mercredi 22 décembre 2010

Mots arrachés à l'hiver

Autour de son cou,
éclatante larme d'Eros,
la pierre bleue d'Afghanistan
offerte à Saint-Malo,
ville close,
un dimanche de janvier
où l'amour fou surréaliste, sous l'oeil discret de Chateaubriand, était un baiser de ses lèvres, un baiser sur ses lèvres, l'incitation violente au jeu des frissons qui embrasent, loin des mitiqueries virtuelles d'un triste temps de pantins assistés par ordinateur

Le style, c'est l'homme (#4 Philippe Vilain)

C'est mon ami Christian Authier qui, il y a longtemps, m'a donné envie de lire Philippe Vilain. Parce que Vilain avait raconté son histoire avec Annie Ernaux dans L'étreinte, les adeptes de l'étiquetage littéraire parlèrent d'"autofiction". Vilain, pourtant, n'est pas Angot. Vilain quête le temps perdu et troue le réel de phrases douces et tranchantes comme des maximes de Chamfort ou La Rochefoucauld. Dans L'été à Dresde, Paris l'après-midi et Faux-père, il touche d'une langue délicate les vérités floues des apparitions, de la lassitude, des minuscules trahisons, des mots d'amour qui se fânent, des corps amoureux passés par les armes du désir en fuite. Vilain commence ses livres beaux comme un soupir triste par des phrases qui restent en mémoire :
"Faire l'amour, je ne trouvais rien de mieux pour survivre à l'ennui, l'ennui que j'éprouvais depuis l'enfance, qu'aucun bonheur ne pouvait satisfaire, le sentiment que la vie, fût-elle comblée, ne serait jamais qu'une vaine traversée, et que les occupations, tous les voyages que je pourrais faire, tous les romans que j'écrirais, les passions même qu'ils m'arriveraient d'avoir, resteraient une manière de divertissement."
Ailleurs, il note : "Notre mémoire ne nous appartient pas. Nous avons plusieurs passés : celui dont nous nous souvenons et celui que les autres détiennent à notre insu. Il est étrange de se dire que notre avenir se compose de passés et de secrets qui, comme des bombes à retardement, attendent d'être révélés."
Ou encore : "Ainsi traversons-nous pendant quelques jours, quelques mois, quelques années, la vie d'une personne, dans l'amour ou la passion, puis dans l'indifférence."
Vilain, qui écrit aussi "Est-ce pour justifier ma réputation que j'excellais dans l'art de déplaire ?", est la plus plaisante des lectures d'hiver.

Le style, c'est l'homme (#3 Frédéric Berthet)

Il y a des saisons où penser à Frédéric Berthet - parti un jour de décembre 2003 - s'impose.
En fait, Berthet est de toutes mes saisons.
Les Simples journées d'été me manquent.
Paris-Berry - lu et relu dans le métro comme une claque rigolarde aux autistes sous ipaude - offre le mot de passe de l'époque : "J'ai parfois le sentiment de parler une langue étrangère". Felicidad ressemble au prénom, doux sous la langue, d'une héroïne de Valery Larbaud.
Le retour de Bouvard et Pécuchet : ricaner tristement une dernière fois avant la fuite. Daimler s'en va, sur la pointe des pieds, danseur mélancolique ivre mort de tous les petits mensonges du jour et des caresses suspendues, à bout de souffle, à sec.
C'est beau, léger et profond, Berthet. Une certaine idée du spleen et du rire, de l'amour fou aussi, qui, dans Journal de Trêve et ailleurs, laisse des traces inoubliables : « J’ai des souvenirs comme un défilé de mode, une mémoire comme un soir de cocktail, je n’évolue jamais dans ma chronologie sans avoir un verre à la main. Se souvenir, c’est comme sortir. »

mardi 14 décembre 2010

Hécate et ses chiens

Hécate et ses chiens, le plus beau roman de Paul Morand, adapté par Pascal Jardin et filmé au début des années 80 par Daniel Schmid.
Le dévédé traînait depuis longtemps, entre un coffret Audiard et Que la bête meure.
Le dévédé attendait le retour des insomnies, la brutalité des nouvelles tristes qui bouleversent les soirs d'automne.
1940, le soleil pâle de l'Afrique du Nord, Bernard Giraudeau en jeune attaché d'ambassade portant des smokings blancs, fumant lentement des cigarettes anglaises, cultivant l'art de ne rien faire, hormis l'amour fou, l'amour qui rend fou.
L'amour fou, c'est Clotilde, incarnée par Lauren Hutton belle comme dans American Gigolo, Lauren Hutton dont la bretelle tombante de la robe en soie laisse apparaître, au balcon des plaisirs, un sein petit et délicat qui aimante la nuit.
Les insomnies, définitivement, nous ramènent dans ce que nous goûtons, au coeur de l'immonde.

mercredi 8 décembre 2010

Un vieux spleen de Hank Moody - Californication


Quand "l'hiver est rude", dixit Queneau, que la neige tombe avec grâce, arrêtant le temps de ses flocons de fin du monde, quand les plans sociaux aiguisent les sourires des déhairhaches, il faut regarder Californication, série bukowskienne, hilarante et mélancolique dont le héros, clin d'oeil au grand Chinaski, est écrivain et s'appelle Hank Moody.
Hank Moody, paraît-il, est boudé par des téléspectateurs français qui ont toujours préféré Les experts à The Wire.
Lors de la diffusion de la première saison de Californication, les téléspectateurs français pensaient avoir un peu de cul light à se mettre dans les mirettes, le truc qui n'effrait pas bobonne, l'excite même un peu avant le devoir conjugal de la semaine. Et c'est vrai que Hank voit dans le sexe la plus douce des fuites avant la déroute finale.
Ce qui semble difficile à faire passer pour le téléspectateur français, c'est ça : la certitude de cette déroute finale au coeur de laquelle Hank livre un baroud d'honneur entre alcool fort et dolce vita.
Dans Californication, Hank porte des lunettes noires, en élégant "dégueulasse" pas rasé. Il dérive sous le soleil de Los Angeles. Il n'arrive plus à écrire, fait le nègre, griffonne sur le ouèbe. Il devient professeur pour goûter aux charmes de jolies étudiantes et de belles enseignantes avec lesquelles il couche pour ne pas avoir à inventer d'histoires.
Hank baise comme il boit trop : pour oublier, pour se souvenir.
Oublier que sa femme s'en va ; se souvenir que, avant qu'il n'arrive plus à écrire, il avait une sacrée papatte ; oublier que sa fille pense qu'il ne l'aime plus ; se souvenir de La fêlure de Fitzgerald ; oublier la gueule de bois des hiers et les lendemains de défaite ; se souvenir qu'il n'est pas impossible de tomber amoureux de la plus sensuelle des apparitions.
Quand "l'hiver est rude" et qu'on traîne un vieux spleen de Hank Moody, il faut regarder Californication, les courts épisodes des trois saisons à la suite comme on lirait un roman rapide, drôle et triste.
Daimler s'en va de Frédéric Berthet, par exemple. Ou, autre genre, Plan social de François Marchand.