samedi 21 mai 2011

Lire François Taillandier (et Jean Dutourd)


Ce samedi très chaud, en attendant de boire, avec miss K., un Cheverny de chez Puzelat et un Pouilly fumé signé Raimbault - qui accompagneront tourteaux, langoustines et crevettes souhaités par ma douce et par ma fille -, lu avec un plaisir infini Le père Dutourd (Stock) de François Taillandier. Il y parle bien sûr, de Jean Dutourd - qu'il donne envie de lire à ceux qui, comme moi, pour d'obscures raisons, étaient passés à côté des ouvrages du frondeur talentueux -, mais aussi d'une éducation dans les années 70, de la France qu'il aime, de jeunes filles reluquées à la faculté, de la langue de Paul-Jean Toulet et de Léon Bloy, du style, de Dieu, des bibliothèques familiales, de la bienveillance et des affinités électives, entre autres. Comme toujours, chez Taillandier - qu'il s'agisse des 5 volumes de sa saga romanesque La grande intrigue, des chroniques qu'il donnait à L'Humanité ou de ses essais sur Aragon, Barbey ou Borgès -, tout est beau, intelligent et touchant. Au hasard des pages :

"C'est que j'ai mes secrets. Cela doit venir de l'enfance. Le monde est trop dur. Ou décevant. Alors je me retire, je me cache, je vais retrouver ces secrets qui me font vivre, me donnent la force. Ce sont des pensées, des chansons. Des rêveries. Des souvenirs. Pour vous je suis ceci, cela, j'ai l'air de tel genre de type, je ne sais pas quoi. Je ne sais pas, je ne sais jamais, "à quoi je ressemble". Dans les rapports sociaux, je ne me "vois" pas. Mais il y a un dialogue entre moi et mon ombre. L'ombre que je n'ai laissée nulle part. Cela ne regarde qu'elle et moi, depuis qu'il a bien fallu vivre (d'après ce qu'on me dit, cela empire, en vieillissant)."

"Se casser la figure est probablement la seule façon de vivre."


"En revanche, oui, avoir du style, c'est important, quand l'époque n'en a point, qu'elle ne nous sert guère que des formules prémâchées, qu'elle fait sous elle comme une gâteuse. Avoir du style, cela résulte d'avoir lu, beaucoup lu, en se demandant pourquoi c'est beau, et, ensuite (bis repetita placent), d'écrire comme on peut et non pas comme on veut. Cela seul confère de la distance, cela vous écarte du troupeau, cela remet le radotage ordinaire à sa place, qui est le néant ; cela gifle le mauvais langage. Le mauvais langage, par l'effet de quelque lien secret ou de quelque châtiment immanent, ne peut qu'exprimer des imbécillités, des choses ennuyeuses et fatigantes, tandis que la phrase qui claque (ou caresse) à cause d'un mot inattendu, de quelque litote subtile, d'un raccourci audacieux ou d'une ampleur bien charpentée, est neuf fois sur dix intelligente, car elle surprend."

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