samedi 25 juin 2011

Jeunes filles tristes, Causeur et brigade légère ...

Nos "Jeunes filles tristes" sont sur Causeur.
C'est ici : http://www.causeur.fr/la-fabrique-des-jeunes-filles-tristes,10391
Comme toujours, plaisir d'être dans l'auberge espagnole d'Elisabeth Lévy, entre François Marchand, David Di Nota, Roland Jaccard, Agnès Wickfield, Ludovic Maubreuil, Marc Cohen, David Desgouilles, Basile de Koch et Jérôme Leroy, ami si précieux et camarade d'exception.
Ca me fait penser à ceux que Jean-Edern Hallier appelait, dans L'Idiot International, sa "brigade légère".
Les mots, à l'assaut et à la caresse ; et le style qui n'en fait qu'à sa fête mélancolique.
Tout ce qui nous plaît et tout ce qu'on retrouve dans la très belle Géométrie du flirt (édition Contrejour) de Claude Nori. Le texte est parfait, "grâce efficace" ; la préface, merveille de légèreté sensuelle et profonde, est signée Frédéric Schiffter. Les photos ? Elles nous entraînent sur le chemin de sable des fugues, de l'été, des Lolitas, des amoureuses, de l'eau à la bouche.

jeudi 23 juin 2011

La fabrique des jeunes filles tristes


Tu as presque 8 ans. Déjà, tu te disputes avec tes copines de CE1. L'une dit ne pas aimer son père. Parce qu'il est "Arabe". L'autre veut aller dans une école privée. Parce que "c'est là où vont les meilleurs". Le soir, après avoir fait tes devoirs, il y a des larmes, des histoires d'amoureux, d'amies "volées" par d'autres amies. Le soir, il y a aussi les curiosités des choses de la vie : qui était cette petite Anne Franck, quel est ce livre dont la couverture ressemble à Du soufre au coeur, qu'est-ce qu'un "cancre" ?
Tu as 14 ans. Tu es en 4e dans ce collège où les garçons t'appellent "sale pute". Au début tu les trouvais cons, les garçons. Mais ils parlent comme dans Secret story ou Les anges de la téléréalité. Toi, d'ailleurs, tu t'habilles comme les filles de ces émissions que tu regardes, sur le ouèbe, en rentrant chez toi. Pendant que tes parents s'engueulent dans le salon. Tes devoirs, tu les feras, peut-être, après avoir insulté cette salope de Britney sur fesse bouc. Britney t'a piqué Kevin, parce que tu avais embrassé John dans les toilettes. Dans les couloirs, l'autre jour, entre deux cours, Britney t'a crachée à la gueule. Tu l'a giflée, griffée, cognée à coups de pieds. Elle l'avait méritée. Tes copines étaient d'accord. Une salope, Britney. A la sortie du collège, ce soir, c'est Dylan qui s'approche de toi. Dylan, lui aussi, te dit que tu es une "sale pute". Dylan te dit encore : "Touche plus à ma soeur !". Et Dylan commence à taper, avec ses poings d'apprenti boxeur de 15 ans. Au deuxième coup, tout se brouille dans ta tête, dans ton corps.
Tu as 17 ans. Tu t'ennuies au lycée, où seuls le professeur de lettres et le professeur d'histoire t'intéressent. Le professeur de lettres est connu. Tu sais qu'il a eu, il y a longtemps, le prix Goncourt. Il a une drôle de tête, le professeur de lettres, avec ses cheveux aplatis sur son front et une mèche qui part en quenouille. Toi et tes copines Clémence et Claudine, ils vous appellent "les petites pisseuses". Quand l'été se pointe, il aime bien regarder vos seins, vos jambes nues. L'autre jour, il t'a dit : "Tu as de jolies pommes". Tu as souri : sa voix, toujours, est délicate. Même quand, le jour de la rentrée, il annonce : "L'année va être dure comme ma bite !" Des filles ont répété ça à leurs parents, qui ont voulu porter plainte. Les mêmes filles, pourtant, ne protestent jamais quand les garçons les appellent "sale pute", hurle : "Suce-moi la bite, pétasse !" Pour t'évader, dans ta chambre, tu lis quelques auteurs que le professeur de lettres t'a conseillé : Blondin et Dorothy Parker, Sagan et Dawn Powell, Patrick Besson et Gabriel Matzneff. Ivre du vin perdu, ce beau roman d'amour, tu vas y penser en courant de longues minutes, sous le soleil pâle de la fin de journée. Au rythme léger de ta foulée, tu penses à Pierre aussi. Tu l'aimes, Pierre, et tu lui as écrit une lettre, que tu lui donneras demain, avant les cours. Tu n'as, par contre, pas envie que ce type sorti de nulle part court avec toi. Non, tu ne lui diras pas ton nom. Tu n'as pas de cigarettes sur toi, non plus. Et tu ne veux pas boire un verre chez lui. Tu aurais voulu, surtout, qu'il ne t'oblige pas à t'arrêter, qu'il te lâche le bras, qu'il ne sorte pas ce couteau, qu'il ne te traîne pas dans ce coin perdu du parc, menaçant : "Tu fermes ta gueule, sale pute, ou t'es morte." Tu n'as pas fermé ta gueule.
Tu as 26 ans, une petite fille de 6 ans que tu élèves seule, pas de travail. Le pôle emploi ne te propose rien, hormis te présenter à la permanence du député de ta circonscription, qui est également le maire de la ville. Tu l'as déjà vu à la télé, ce vieux beau aux cheveux gris. Il n'a pas l'air sympathique mais il te reçoit, très vite, à la mairie. Tu es vaguement flattée quand il te dit qu'il te trouve jolie. Il a précisé : "Très sexy". En t'invitant à la soirée d'inauguration d'un salon du livre, il a voulu te rassurer : "Ne vous inquiétez, il y a toujours du travail pour un brin de femme comme vous." Un job, c'est ce que tu veux. Pour toi, pour ta fille, pour payer la bouffe, le loyer de l'appartement. Le député-maire te comprend, il fera quelque chose pour toi, il veut te revoir. Dans son bureau, il te trouve trop stressée. Il faut te détendre, t'allonger sur le fauteuil relax : "Vous connaissez la réflexologie ?" Tu n'en as jamais entendu parler. Tu portes, cet après-midi, un caraco noir, une jupe bleue nuit, des escarpins d'été que tu viens d'acheter sur le ouèbe. Le député-maire te demande d'ôter tes escarpins et d'enfiler des mi-bas couleur chair : "Je ne supporte pas les pieds nus." En commençant à malaxer la plante de tes pieds, il t'annonce qu'une place va se libérer à la mairie et qu'elle sera pour toi. Si tu n'es pas trop angoissée, bien sûr. Les mains du député-maire ne sont pas désagréables. Impression d'une caresse profonde. Tu es surprise, par contre, quand il se met à sucer ton gros orteil. Sa bouche bave beaucoup, ne s'arrêtant que pour demander : "Tu aimes ?" Il te tutoie désormais, tandis que ses doigts filent le long de tes cuisses. Tu devrais bouger, savoir dire stop, le repousser du pied. Tu restes silencieuse. Tu penses au poste promis. A l'excitation dans ses yeux, aussi. Ca fait longtemps que tu n'as pas vu l'excitation que tu provoques chez un homme. Il joue maintenant avec l'étoffe de ta culotte, essaie de s'insérer en toi. Tu resserres les cuisses, murmures un "Non" que tu n'arrives pas à hurler, tu ne sais pas pourquoi. Le député-maire te force à t'ouvrir : "Ne fais pas ta timide, tu es une bonne fille, tu aimes ça." Le job est à toi désormais; tes pieds, tes cuisses, ton sexe sont à lui. Chaque jour, quand il veut, seul ou avec sa "Pompadour" qui regarde, qui participe. Ca te dégoute, mais tu te tais. Tu n'as plus de mots et, bientôt, plus de travail. Tu n'en veux plus, de son job, de sa bave et de ses doigts.

mercredi 22 juin 2011

S'asseoir en costume froissé ...


"Oui, on aimerait, comme James Salter ou Charles Simmons, devenir un beau vieux, au lieux d'un vieux beau. Simplement s'asseoir en costume froissé, et fermer les yeux pour se récapituler, glanant çà et là les moments de joie qui ont justifié notre présence sur terre. Oh, ce n'était pas grand-chose, "une maîtresse italienne tout ce qu'il y a de bien, qui prenait l'avion n'importe où pour me rejoindre", trois fois rien, les yeux émeraude de Lara Micheli, un soir d'automne, au Café du Soleil, à Genève ..."
Frédéric Beigbeder, Premier bilan après l'apocalypse

lundi 20 juin 2011

Tchin à Pierre de Régnier


Lisant le précieux livre de Beigbeder, Premier bilan après l'apocalypse (Grasset), en écoutant, évidemment, Les Chanteuses - Priscilla de Laforcade et Victoria Olloqui - je tchine avec Paul-Jean Toulet et Antoine Blondin, Ellis et McInerney, Truman Capote et Jean-Jacques Schul, JG Ballard et Dorothy Parker, Sagan et Modiano, et avec Pierre de Régnier, fils par la bande de Pierre Louys. Son roman La vie de Patachon, réédité il y a quelques temps par le Castor Astral, était une merveille. Ses poèmes, aussi. On est chez Toulet, chez Jean de Tinan : amours, mélancolie, petits luxes et petites morts, volutpté du temps suspendu, alcool fort et folie douce. Le titre d'un de ses recueils ? Erreurs de jeunesse. C'est parfait, ça sonne et ça touche :
"Je suis un personnage étrange,
Réaliste et paradoxal,
J'aime les pyjamas oranges,
L'amour, le chypre et les Pall-Mall.

J'aurai fait toutes les folies
Qu'on a pu faire à vingt-trois ans ;
Les femmes sont toujours jolies
Quand on est tendre et inconstant !

Mes malheurs sont inconcevables
Car je suis toujours en retard,
Mes amours incommensurables
Et mon cœur est un grand bazar.

Mon bonheur n'a pas de limites,
Je suis gai, philosophe et fou ;
Aussi je prends beaucoup de cuites
Et le hasard arrange tout.

Je bois mes nuits mélancoliques
En vieux noceur désabusé ;
Mes aurores sont romantiques
Et mes regrets désespérés...

Et quand, dans le matin qui passe,
Je me vois au soleil levant,
Je m'engueule devant ma glace
Et je m'adore en m'endormant !
"

mardi 14 juin 2011

Zemmour, lu à la télé



C'est dans le magazine Causeur de ce mois, et sur le site ces jours-ci : http://www.causeur.fr/zemmour-lu-a-la-tele,10242
Figure très moderne du maudit officiel, Eric Zemmour est partout : futur ex-pineupe du samedi chez
Laurent Ruquier1, incarnation de la « droite dure » en couverture du Point, invité d'un quarteron de députés UMP en manque d'idées, éditorialiste du matin sur RTL, convive du midi de Nico le petit, débatteur du soir sur I Télé et, ces jours-ci, en couverture de Z comme Zemmour, le recueil de ses chroniques radiophoniques.
Ca se voit sur le visage d'Eric : il jouit de son image, n'en revenant pas d'être le poil à gratter de toutes les attentions. SOS Racisme l'attaque ? C'est parfait. Joffrin, Kahn et Apathie l'excluent du cercle des journalistes vertueux ? C'est extra. Le très drôle Georges-Marc Benamou le traite de facho ? C'est encore mieux. Son fan club, d'ailleurs, est aux anges.
Une victime de ses fans
Zemmour, en effet, possède sa garde rapprochée : des jeunes, des vieux qui ne jurent que par lui, pensent comme lui, pleurent pour lui, archivent sur le ouèbe chacune de ses interventions cathodiques. C'est le côté Soral de Zemmour, en plus grand public. Eric, pourtant, devrait se méfier. Se souvenir, par exemple, de Guy Debord qui crachait avec joie sur les Debordistes encombrants ou de Philippe Muray qui eut le bon goût de mourir avant de voir pulluler les petits Muray dans chaque bord qu'il détestait. Les disciples deviennent vite un poids mort empêchant, par leur admiration crasse et les flatteries idéologiques qu'ils recherchent, de finir ses phrases. Ainsi, quand Zemmour dit, chez Ardisson, que « la plupart des trafiquants sont noirs et arabes ... », ses fans déclenchent la Hola immédiatement, se contrefoutant de la suite.
Proche, jadis, de Philippe Seguin et de Jean-Pierre Chevènement, Zemmour sait que la délinquance naît de vies misérables où le déclassement est une gamelle que se partagent quelques jeunes chiens fous originaires de « ce cher et vieux pays » et d'ailleurs. Il l'écrivait, au basculement des années 90 et des années 00, dans Marianne, dans Le Figaro. C'était du grand reportage, complexe et brillant, dans les contrées de la droite, de la gauche, dans l'agitation des campagnes électorales décisives. Ca donnait des essais comme Le livre noir de la droite ou L'homme qui ne s'aimait pas, mise à nu de Chirac que venait compléter le roman L'autre. C'était avant les sunlights qui paralysent la langue, imposent leurs règles – un story telling systématiquement amputé de tout sens.
Un vieil ado complexé
Zemmour pourrait aujourd'hui se contenter d'être le meilleur des journalistes – sur le modèle juppéiste « le meilleur d'entre nous » -, excellent dans ses analyses sur la débâcle de l'équipe de France de foutbol en Afrique du Sud, sur les attaques criminelles de la finance mondiale ou sur ce que Jean-Claude Michéa nomme « l'enseignement de l'ignorance ». Mais Zemmour, la préface de Z comme Zemmour le rappelle, n'aime le journalisme que quand il flirte avec la littérature. Zemmour cite Aron, Sartre, Camus. Il oublie Jacques Laurent, Antoine Blondin, Roger Nimier ou Françoise Sagan. Ce qui est dommage quand, saluant la mémoire de Claude Chabrol, il se confesse, à peine masqué. Il doit son éducation sentimentale et sexuelle aux apparitions de Stéphane Audran dans les films du réalisateur, période 1960/1970. On comprend mieux la nostalgie de Zemmour pour ce monde d'avant qu'il ne cesse de regretter. C'étaient les derniers soubresauts des « Trente glorieuses », De Gaulle s'exclamait, en voyant BB faire son entrée à l'Elysée en costume couleur treillis, « Chouette, un militaire ! », Pompidou lui succédait au volant d'une voiture de sport, cigarette aux lèvres et Stéphane Audran hésitait entre Jean-Louis Trintignant et Jacqueline Sassard dans Les biches, trompait Michel Bouquet avec Maurice Ronet dans La femme infidèle.
Zemmour est resté ce petit gars de Montreuil qui aimait la comédie et les drames de la République, le bloc-notes de François Mauriac et les actrices de la Nouvelle vague. Evoquant Stéphane Audran, il aurait pu parler tout autant de Caroline Cellier, de Bernadette Laffont ou de Marlène Jobert, silhouettes épousant à merveille la « mélancolie française » chère à son coeur timide. Entre une descente du boss de Sciences-Po Richard Descoing - « à la fois le fossoyeur de l'élitisme républicain et l'idiot utile du capitalisme »- et le feuilleton des manoeuvres quotidiennes de DSK et de Marine, quelques caresses sur la peau de ces héroïnes auraient donné à Z comme Zemmour une sacrée gueule d'atmosphère, qui manque. Comme les Noirs et les Arabes, les silhouettes effraient Zemmour. Il devrait se répéter en boucle les mots de la talentueuse âme damnée des souverainistes tendance Pasqua, William Abitbol : « Tu parles trop et tu n'écris pas assez. ». Encore un effort, Eric, pour ressembler à votre modèle Madame de Sévigné, laisser tomber votre reflet déformé par les caméras et faire jouir, enfin, la langue française.
Eric Zemmour, Z comme Zemmour, Le Cherche midi, 2011

1Souhaitant donner “un souffle nouveau” à On n'est pas couché, Ruquier a décidé d'éjecter les célèbres Naulleau et Zemmour la saison prochaine. La réaction de Naulleau : “Je suis triste pour la liberté d'expression.” On n'a pas fini d'en rire ...

mercredi 1 juin 2011

Style de vie

Toujours trop loin des maisons de famille, des bords de mer et des terrasses le long des lacs, n'existent finalement que les verres de Cheverny de chez Puzelat bus entre amis, l'immonde défait, autour de minuit, d'une langue française mélancolique, quelques films du monde d'avant, la fumée d'une Lucky strike, des mots flâneurs contant des histoires de grâce et de (petites) morts, le temps suspendu et la peau si sensuelle de miss K. avant, pendant, après l'amour.