mardi 13 septembre 2011

Ca a commencé comme ça


_ Tue moi si tu veux, mais arrête de m'emmerder.

Au commencement, cher Paul, votre mort à la boutonnière.
Programmée.
Pasolinienne.
Tranchante.
Elle n'est à l'heure, affirmiez-vous, que dans les contes chinois. Vous la compariez à une gourmande qui avale sans plaisir. Vous la craigniez comme vous craigniez les imbéciles et votre contrôleuse des impôts.
_ L'avenir, c'est la mort ma pauvre vieille !

Dans mes papiers archivés, j'ai retrouvé une page du Monde, daté du 28 décembre 1983 : « Paul Gégauff, soixante et un ans, écrivain et scénariste, a été assassiné de trois coups de couteau, dans la nuit du samedi 24 au dimanche 25 décembre 1983, par sa compagne âgée de 25 ans, à Gjovik, en Norvège. La jeune femme, dont l'identité n'a pas été révélée, a reconnu les faits. »

On dirait une nouvelle en trois lignes de Felix Fénéon. Perfection froide de la brève. Un beau début de roman, polar nordique très loin des Stieg Larsson et autres Indridason. Une histoire d'amour noir, de folie douce et de petite mort comme les racontait, dans ses chroniques chics et morbides de Vanity Fair, Dominick Dunne, comme les filmaient des petits maîtres talentueux des années 70, des années 80, sur des scénarios de Jean-Patrick Manchette.
La jeune femme s'appelle Coco. Norvègienne métissée, apprentie comédienne aperçue chez Rohmer et fatale héroïne de votre ultime bye-bye. Vous l'aviez épousé, aviez eu une petite fille, Elise, presque deux ans.
Ca n'était pas de votre âge. Ca n'était pas en ligne avec les diktats de nos tristes temps. C'est ce qui vous enchantait.
Vous étiez un poète tendance Paul-Jean Toulet, un dandy dilettante et une gloire gâchée du 7e art selon « les professionnels de la profession. »
Une sacrée carte de visite à l'heure où Luc Besson grillait ses premières pellicules.

Je rembobine les bandes, dans le désordre.

Un garagiste de Quimper, au volant d'une Mustang noire, sa belle-soeur en larmes et en robe d'été à ses côtés, renverse un bambin blond en ciré jaune, prend la fuite, beugle des horreurs.
Une jeune biche, parée de chagrin et de jalousie, oublie le pont des Arts, les heures douces à Saint-Tropez et plante son couteau dans le dos d'une sensuelle héritière.
Un parasite élégant troue la peau d'un fils de famille Américain, sur une musique de Nino Rota et sur un voilier au large des cotes d'Italie, jette le corps à la baille puis prend sa place dans sa vie et dans celle de sa fiancée.
Un motocycliste moustachu, Don Juan psychopathe des bals du samedi soir, étrangle une vendeuse d'électro-ménager trop fleur bleue, après l'avoir embrassée dans un bois dans la banlieue de Paris.
Une jeune femme qui ressemble à Sissi creuse un trou dans le jardin d'une maison de ville, y enterre le corps de son amant, qu'elle croyait déjà mort, qu'elle vient de poignarder dans sa cuisine, effrayée par les promesses de violence.
Vous-même, Paul, jouant votre propre rôle à peine déformé dans le miroir de la mémoire, vous cognez à coups de pieds Danielle, femme de votre vie en fuite, vous l'achevez sur le rebord gris d'une dalle mortuaire, fou d'amour inconsolé.

Toujours sur le fil des excès et de l'éclat, vous vous êtes tiré en 24 images/seconde, comme dans les films que vous signiez pour Chabrol, René Clément ou Barbet-Schroder.
C'était écrit.
C'était bien fait pour vous.
C'était, surtout, la fin d'un monde de légèreté et de profondeur, de plaisirs et de mélancolie, d'alcools et de volutes.
Il y avait Vadim et Ronet, Sagan et les frères Marquand, Brialy et Jean Yanne, Jacques Laurent et Jacqueline Sassard.
Désormais, il y a des morts et des vivantes qui se sont fait la belle.
Je me demande ce qu'est devenue Jacqueline Sassard.
Elle ressemblait aux vacances et à miss K., la plus jolie fille de la fin du monde.
Je vous parlerai de miss K., cher Paul, de Jacqueline Sassard aussi, de quelques autres enfin.
Il y aura des rires et des larmes, des insultes et des tchin-tchin joyeux, des bikinis et des peaux bronzées.
La Dolce vita danse encore, sur le rebord des tombes.
Tout part de là : l'oubli, le souvenir, la lame du temps sur laquelle je vagabonde dans le fracas de vos lambeaux de vie.
(Gégauff n'est pas mort - extrait)

2 commentaires:

Fred a dit…

C'est très, très bon camarade... On en redemande. En tout cas, ça promet des pages stimulantes. Fonce!

monde d'avant a dit…

et ça fait envie