dimanche 22 janvier 2012

Beigbeder badine avec l'amour


Si Bruno Maillé a parfaitement dit tout le bien qu'il faut penser de L'amour dure trois ans, il se trompe en affirmant que le film n'est ni cynique ni romantique, tendance Judd Apatow : il est les deux, parmi ses plus belles qualités.
Quand, comme Frédéric Beigbeder, on aurait aimé être Maurice Ronet ou rien, quand on cite avec plaisir Bukowski et Les liaisons dangereuses de Vadim, dialoguées par Roger Vailland, et quand on est heureux d'offrir à Bernard Menez - échappé de Pleure pas la bouche pleine de Pascal Thomas - un rôle de père adepte des jeunes femmes asiatiques : on est cynique et romantique.
Gaspar Proust, alias Marc Marronnier, double de Beigbeder, incarne cet homme-là. Chroniqueur des nuits parisiennes et critique littéraire, il fait sonner la langue française entre deux shots de vodka au Montana. Ses mots sont un assaut de drôlerie, une caresse de mélancolie. Il croit à l'amour, puis n'y croit plus : «Dans un couple, la première année, on achète des meubles, la deuxième année, on déplace les meubles, la troisième année, on partage les meubles.» Il en fait un livre à succès, le début de sa gloire et des emmerdements. Il se couche à l'aube, se réveille dans une flaque de vomi. Il regarde passer les filles, avec ses amis, s'interroge sur leur face cachée : jardin à l'anglaise ou ticket de métro ? Il porte des lunettes noires, file sur la côte basque enterrer sa grand-mère. Son deuil a le rire et la silhouette blonde de Louise Bourgoin.
Une partie de plaisir
L'apparition de Louise Bourgoin, sous le soleil de Guéthary, a la grâce d'un poème de Paul-Jean Toulet. Elle est la douceur espiègle des choses. Une héroïne en robe noire sur la plage, qui boit du champagne à la bouteille, fugue en décapotable, grille les feux rouges. Elle a déjà un fiancé, un caractère de cochonne et des pieds bizarres : impossible de ne pas tomber amoureux d'elle. Ce n'est pas simple ? C'est encore mieux :

_ C'est la dernière fois qu'on se voit, Marc.
_ Donc c'est moi qui t'appelle.

Devant L'amour dure trois ans, on pense à Eric Rohmer. A la mort de Rohmer, Beigbeder avait écrit : “ Bien sûr, les Français continueront de faire des films où des filles et des garçons se parlent d'amour au bord de la mer. Mais ils seront moins bien.
Peu importe que L'amour dure trois ans soit moins bien que La collectionneuse, Le genou de Claire ou Pauline à la plage : c'est un premier film, donc le meilleur. En dilettante, Beigbeder badine, léger et profond, autour du plus vieux sentiment du monde. Il s'est amusé, nous invite à une partie de plaisir sur laquelle Michel Legrand pose ses notes, et Joey Starr sa voix de crooner destroyé. Annie Duperey passe, Alain Finkielkraut aussi. Frédérique Bel est une adorable potiche nymphomane et Valérie Lemercier, une éditrice qui récupère ses auteurs dans les toilettes du Flore. Le mot de la fin : “Je m'aime, il m'aime, ça me suffit.” Cynique et romantique, disait-on.

L'amour dure trois ans - en salle depuis le 18 janvier
Papier paru sur Causeur.fr, le 22 janvier 2012

dimanche 15 janvier 2012

La vie quotidienne de Patrick Besson sous le règne de Nicolas Sarkozy


C'est un gros livre de la même couleur que Le Hussard rouge, récemment édité par Le Temps des cerises. Après les années 80, les années Sarkozy: du ministère de l'Intérieur à la présidence de la République, en passant par l'UMP et le mariage avec Carla.
Certains diront que Patrick Besson publie trop. Ils auront tort puisque, en réunissant les papiers qu'ils donnent aux magazines, Besson offre la chronique du temps qui passe, se dérègle et se perd. A chaque fois, l'angle de vue est différent, mais le regard est toujours pleine cible. Eva Joly n'affirmera pas le contraire.
Parmi les derniers, Besson est un écrivain qui éparpille les chapitres de ses romans entre une pub et un sommaire d'hebdo. C'est un adepte de la ligne Bernard Frank, ou Blondin. La presse, il faut le dire, c'est tout de suite mieux quand c'est rempli des vagabondages des écrivains. Peu importe le sujet : le style pare la pensée de ses atours, met dans le mille avec la précision d'un sniper sur les toits de l'immonde.
Le style, arme de précision massive
Dans VSD, Besson voyait le monde sur grand écran ; dans Le Figaro Magazine, sur petit écran ; dans Marianne, entre les lignes. Dans Le Point, depuis 2002, il s'empare de la réalité selon son beau plaisir et ses dégoûts très drôles. Ses premiers mots : comment (ne pas) réussir sa vie ; ses derniers : l'invention du slogan de saison « la retraite ou la mort ». Entre les deux, il constate les dégâts des tristes temps où nous vivons, s'en amuse, tire à vue.
Cette jolie chanteuse au pedigree sexuel de grande quantité devient première dame de France. Monsieur le Président doit faire attention aux cornes. Les gens trop en cour sont louches : Kouchner, Eric Besson-Zemmour, Georges-Marc Benamou et Manuel Valls risquent de mal finir. Les emprisonnés ne le méritent pas forcément : Cesare Battisti, une autre jolie chanteuse – Serbe celle-là – , Le Floch-Prigent ou Edouard Limonov bien avant sa découverte par Carrère. Marie Trintignant passe. Les morts de la canicule de 2003 aussi. La télé tue lentement des apprenties starlettes. Des petits gros s'imaginent en haut des affiches électorales s'ils maigrissent. Quelques femmes politique sont traitées de « salopes » ou de Ségolène, histoire de leur faire comprendre qu'elles n'existent pas. Christine Angot est encore une femme publique et Jean-Pierre Raffarin, le philosophe tendance Lorie de la droite. Le cimetière des coeurs battants s'agrandit : Frédéric Berthet, Frédéric Fajardie, Jacques Brenner.
La possibilité des fugues
Pour sourire un peu dans ce milieu hostile, Besson se souvient des écrivains morts et des jeunes romancières. Il s'évade en Afrique, en Thaïlande et dans les Hôtels niçois. Les actrices sont de beaux points de chutes, Hélène Fillières par exemple. On peut les inviter au restaurant, dont la qualité sera mesurée à l'aide d'une faucille et d'un marteau. Laetitia Casta joue dans les pièces de Florian Zeller, auteur mi Sagan mi Gégauff. La nostalgie des princesses réchauffe les sentiments. Il est bon, également, de relire un vieux Playboy daté de 1981 : Marie-Hélène Breillat était en couverture. Le dévédé du Sauveur, de Michel Mardore, avec Muriel Catala en exquise Lolita pervertie, est une autre possibilité de fugue.
Dans Patrick Besson au Point, il y a des poèmes, des listes qui ne doivent rien aux listes de courses de Charles Dantzig, des nouvelles d'été, des classements et, à chacune de ses 950 pages à lire urgemment, des fusées qui trouent la laideur et réenchantent, d'un éclat de rire ou d'un spleen léger, une France à la merci des tueurs d'émotions.

Patrick Besson, Au Point – Journal d'un Français sous l'empire de la pensée unique, Fayard, 2012
Version intégrale du papier paru sur Causeur.fr, le 15/01/2012

samedi 14 janvier 2012

Au triple A, préférons le Triple Zéro de Jacky Blot


Flânant autour de la maison des Moulins, sur les départementales à peine enneigées entre Albertville et Chambery, miss K me faisait penser, dans la voiture noire louée, à une héroïne de Sébastien Japrisot. Qu'aurait-elle pu répondre, aux alarmistes croisés ?

_ Faites demi-tour, nous venons de perdre notre triple A ...
_ Je l'empapaoute le triple A. Je suis en auto, je fugue, j'ai des lunettes noires et un fusil pour accueillir la fin du monde, qui n'en finit pas.
_ Mais c'est la crise, la guerre programmée, la chute des bourses ...
_ Je vous l'ai dit : j'ai des lunettes noires, un fusil et je bois du Triple zéro, que je préfère au triple A de Standard's and connardeaux associés ...

mercredi 11 janvier 2012

Le soufre au coeur de Neuhoff


Ca part de rien, souvent. Il n'aurait pas dû rapter en douce le smartphone de Charlotte. Quand on a 50 ans, qu'on est deux fois divorcé et qu'on a deux grands enfants, on ne fait pas ces choses-là. Les risques sont connus. Charlotte lui avait dit qu'elle était à Londres pour assister à une vente chez Sothebys. Les messages, que le narrateur de Mufle fait défiler, livrent une autre vérité : “Thank you my darling fort the most wonderful week-end of my life.
Il y croyait, pourtant, de nouveau : à la vie sublime, à la beauté. L'amour n'était pas qu'un chien de l'enfer. Partout, il avait envie de crier : “Hé, les gars, vous avez vu ? Cette blonde est avec moi.” Quelques mots chapardés ont balayé le temps retrouvé. Beaucoup d'eau froide sur le soleil des saisons. L'enfer recommence avec elle.
KO sentimental parfait
C'était donc ça, Charlotte. Une blonde comme les autres, bonniche du cul sans scrupules. De longues jambes sublimes qui mentent quand elles s'enroulent. Des battements de coeur, comme une vieille peau, passés aux UV. Il avait été prévenu : “Charlotte ? Celle là, elle te jettera comme ça, psschitt ...
Et puis non, ce n'était pas que ça. L'envie de la tuer s'était fait la malle. Il couchait encore avec elle, le temps de fixer ses souvenirs : “Je t'ai aimée, Charlotte. Est-ce que tu te rendras compte de ça ? Est-ce que ça te servira à quelque chose ?
Oui, il avait aimé son art de brosser ses cheveux, son sale caractère, sa ressemblance avec sa première femme et avec Sydne Rome dans Quoi ? de Polanski, son corps bronzé s'extirpant des draps, son appartement sous les toits de Paris, son deux-pièces marron sur les plages d'Espagne, l'amour avec elle, l'alcool avec elle, le souvenir de leurs premiers baisers et la regarder lire Jane Austen.
Il ne lui restait plus, désormais, qu'à voyager en solitaire, draguer des jeunes filles sans intérêt, écouter les Rolling stones en boucle et racheter ce dévédé des Noces rebelles, d'après Richard Yates, qu'elle ne lui avait pas rendu.
Vengeance de grand style
Sur l'amour, sur la beauté et la mélancolie des passions fânées, Neuhoff dit tout dans Mufle, un volume classieux et pointu comme une lame qui fouille les plaies et qui caresse la silhouette adorée. Il cite Roda-Gil chanté par Julien Clerc, “Souffrir par toi n'est pas souffrir”, et Françoise Sagan : “On ne sait jamais ce que le passé vous réserve.” Joanna Shimkus flâne entre les lignes. Elle hante les conversations du temps des copains et des verres qui permettent l'oubli, à Amsterdam ou à Berlin.
Les précédents romans de Neuhoff avaient pour titre : Un bien fou et Pension alimentaire. Des femmes y étaient célébrées et hachées menues, d'un même trait. On comprend : Mufle est de la même encre. L'élégance française tient dans ces mots blessés et à l'assaut, ceux d'un écrivain qui sait que, parfois, pour ne pas mourir tout de suite, il faut en être, un mufle.

Eric Neuhoff, Mufle, Albin Michel, 2012
Version intégrale du papier paru dans Causeur magazine, janvier 2012