vendredi 28 décembre 2012

Les godelureaux des lettres


 
C’est le mot qui passe : à l’heure où Bernard Pivot twitte, Nicolas Bedos et Nicolas Rey ne seraient pas sérieux. Le genre à affoler les étudiantes, passer des soirées frivoles, célébrer les amours dilettantes et le temps des copains. Ne pas en parler, donc, dans les colonnes sévèrement tenues par les « professionnels de la profession » littéraire.
Pour exciter encore plus les jaloux, Bedos et Rey s’affichent sur les plateaux télé, chroniqueur ou invité vedette, parfois même sur grand écran. Ils pourraient d’ailleurs sortir des Godelureaux, un Chabrol millésime 61, où des gandins troussent leur vie avec légèreté et provocation.
Aggravant leur cas, ils écrivent aussi dans les journaux des papiers forcément superficiels. Longtemps, Nicolas Rey en a profité pour signer de beaux portraits d’actrices de Brisseau ou de traductrices de Dorothy Parker. Nicolas Bedos, lui, tient dans Marianne son Journal d’un mythomane où il castagne Copé, suit Jean Dujardin à Hollywood, envoie des fleurs à Anne Sinclair et Laure Sainclair. Dernièrement, il a salué L’Amour est déclaré, « le formidable roman de la gueule de bois » de Nicolas Rey : « Françoise Sagan n’est donc pas morte, puisque Nicolas Rey revit. »
Bedos a raison : L’Amour est déclaré est un joli texte à l’imparfait, feuilles arrachées au temps. Rey, après avoir énuméré ses défaites de l’alcool dans Un léger passage à vide, nous raconte sa vie de Patachon grisonnant et fragile. Une Maud sensuelle, fille d’un acteur célèbre, apparaît. Un psychanalyste et un agent déjanté sont de la partie. Michel Platini et John McEnroe, aussi. Un père parle à son fils. Ca hésite entre la passion et la retenue, trouvant son parfait déséquilibre.
Bedos a raison, encore, quand il vante, d’une parenthèse, les mérites du premier volume de son propre Journal, paru en 2011 : « Lis-le, ça peut changer ta vie. » Dans Marianne, d’ailleurs, Bedos est désormais le seul à avoir raison, c’est-à-dire à avoir du style. Une année particulière, deuxième tome de son Journal, en apporte la preuve, par-delà les figures imposées de l’actualité- ce gros mot – et quelques facilités. D’une zébrure de plume, Bedos offense une blonde diaphane et blessée : « Euthanasie ta mère et termine ton bouquin. » Il saisit, sur le vif et par la grâce de dialogues au couteau, les affres d’une campagne présidentielle. Il défend Patrick Besson, coupable d’avoir mis l’accent sur Eva Joly. Il peut surtout suivre les méandres de sa ligne de cœur, l’appeler Pom, et offrir des phrases qui, quelle que soit la saison, touche pleine cible mélancolique : « Je me balade, seul, dans cette maison bondée de fantômes de mes amours ratées […] Je revois chacune d’entre elles, à quelques années d’intervalle, débarquant début juillet par la même baie vitrée, sur la même terrasse, une valise d’enthousiasme à la main […] Je revois C. me quitter dans le jardin, N. m’engueuler près des rochers, E. s’endormir sur le hamac et ma Pom adorée planter du basilic à deux heures du matin. Pour vous, c’est quelques lettres dans une chronique bavarde, pour moi, c’est un carambolage de vies, un mille-feuilles de gonzesses remariées qui font de ce paradis un cimetière sentimental […] Demain, elles me poursuivront sans doute jusque sur la plage (E. qui dit « fuck » au soleil sous son large chapeau de paille, C. qui se calcine à coups de monoï et Pom, seins nus dans l’eau glacée). J’aurais beau nager, nager vers le large, elles m’accompagneront. Au fond, je suis resté fidèle à toutes les femmes que j’ai trompées. »
C’est le problème avec les têtes à claques : ils écrivent mieux qu’un Goncourt de l’année ou qu’une recalée du prix Décembre. Nouveau mot à faire passer : littérature pas morte, talent non plus, les godelureaux Bedos et Rey cisèlent la langue française.
Nicolas Bedos, Une année particulière, Robert Laffont, 2012
Nicolas Rey, L’amour est déclaré, Au Diable Vauvert, 2012
Papier paru dans Causeur magazine, décembre 2012

Une âme damnée, Paul Gégauff, c'est (presque) fini ...


Avant de prendre le large, plein ouest et au coeur des montagnes de Savoie, on se dit que, décidément, notre Gégauff, Une âme damnée, a eu pendant plus de trois mois le plus beau des accueils. L'excellent Paul Vacca - lire sa Société du Hold-up (Mille et une nuits) - nous apprend que ce n'est pas fini : quelques mots devraient encore être consacrés à notre flânerie, en janvier, dans La Revue des Deux Mondes. On n'oublie pas, non plus, et on aime bien réécouter la chronique de Lisa Vignoli, la plus talentueuse journaliste de Marianne, sur Le Mouv' : http://www.lemouv.fr/diffusion-desir-sur-l-ecran
On va pouvoir maintenant laisser infuser les mots de demain, continuer à boire des bouteilles d'exception avec miss K, au Cornichon et au Jeu de quilles, avec notre ami Leroy aussi, on va lire Simon Liberati - 113 études de littérature romantique (Flammarion)- et Thibault de Montaigu - Zanzibar (Fayard) - et puis on est très heureux, surtout, d'éditer, chez Ecriture, le nouveau roman de Franck Maubert : Ville Close. Franck, qui a reçu le prix Renaudot Essai 2012 pour son Dernier modèle, est un dandy, un homme délicat, un exquis compagnon de bonnes tables et un grand écrivain à la plume mélancolique. Ville Close, dont la couverture est illustrée par Pierre Le Tan, sort le 8 janvier :

mercredi 12 décembre 2012

Quand Naulleau parle d'Une âme damnée et de Paul Gégauff, c'est dans Paris-Match

On avait aimé les mots de Beigbeder dans le FigMag, saluant Gégauff et notre Ame damnée, on aime ceux de Naulleau dans Paris-Match. Son papier est titré : "Diable d'homme". On l'illustre, ici, d'un cliché oldscoule, et par le trou de la serrure, de Bernadette Lafont.

Scénariste pour René Clément (« Plein soleil ») ou Claude Chabrol (« Que la bête meure »), modèle du tueur en cavale interprété par ­Belmondo dans « A bout de souffle », auteur d’une poignée de romans salués par Nimier, poète à découvrir, dandy milieu de siècle, anar de droite et de gauche, intime de Maurice Ronet et copain de Johnny (qui a dit de lui : « C’est l’homme qui m’a fait le plus rire et le plus pleurer de ma vie »), il se nommait Paul Gégauff. Sa trajectoire de feu follet s’interrompit quelque part en Norvège, durant la nuit de Noël 1983, lorsqu’il fut poignardé par sa ­compagne et quitta la rubrique cinéma pour celle des hommages posthumes : «
C’est ainsi que je le vois, mi-poète, mi-fou, égoïste et vulnérable à la façon des enfants, avide d’aventures et de plaisirs, curieux, atteint de tous les dons mais, finalement, d’une grande rigueur intellectuelle dans les ­désordres de la vie. » Oraison signée Roger Vadim dans les pages de Paris Match. Cerner pareil personnage, qualifié de « Brian Jones de la profession » par Bernadette Lafont et de « libertin du XVIIe siècle » par Jérôme Lindon, relevait en soi de l’exploit littéraire. Avec « Une âme damnée », Arnaud Le Guern, décidément inspiré par les irréguliers (on lui doit des textes sur Jean-Edern Hallier et Richard Virenque), fait mieux encore.
A l’évocation d’une carrière où la désinvolture le disputait à l’efficacité – plus d’une quarantaine de films au compteur en qualité de dialoguiste, scénariste, adaptateur, interprète ou réalisateur, au portrait d’un homme tissé de contradictions assumées, libre en un mot, à la résurrection d’une époque dont la nostalgie touche même, et peut-être surtout, ceux qui ne l’ont pas connue, l’auteur mêle le récit de ses propres amours, une célébration du cour-cheverny de chez Villemade et des nuits passées à guetter l’aurore sur un tabouret de bar.
Bref, notre biographe (lequel réfute ce mot) se laisse envahir, mais jamais submerger, par son sujet : « J’écris sur Gégauff comme il écrivait ses scénarios, ses dialogues. Je commence par ne rien faire, pendant longtemps. […] Je déstructure les journées, matinées légères et non grasses, heures suspendues. D’un baiser, je sors de la nuit, je goûte l’aube sur les lèvres de miss K. Je la regarde choisir des étoffes que j’aime, tracer dans la ville endormie. Je sniffe l’air encore froid par la fenêtre. » Une fois la dernière page tournée, le critique se prend à hésiter. Aller dénicher sur les quais un exemplaire des « Mauvais plaisants », paru aux Editions de Minuit en 1951 ? Se procurer la filmographie intégrale de notre homme, chefs-d’œuvre et nanars confondus ? Plutôt relire « Une âme damnée », l’affaire d’une heure ou deux, le temps d’une parenthèse enchantée où « la vie, finalement, ressemble à un film de Rohmer dialogué par Gégauff ».