mercredi 12 février 2014

Bonsoir tristesse



Un aveu : le concept de Raphaël Mezrahi nous paraissait flou. Une « Nuit de la déprime » ? Au 28 Boulevard des Capucines, on cherche en vain la moindre trace de spleen sur les visages. Pas de salariés en colère, ni de ministres socialistes à lhorizon. Un certain bonheur est de mise. LOlympia ressemble de plus en plus à une annexe des émissions dominicales de Michel Drucker. Le temple tiède du music-hall. En hiver, ça réchauffe. Des charentaises et des boîtes de Kleenex sont distribuées. On voit le genre : « Je prends tout à la dérision, surtout la déprime ». Autrefois connu pour ses interviews loufoques, Mezrahi est un parfait maître de cérémonie. Il présente le concertiste Alexandre Tharaud, qui promet une mélodie « ennuyeuse ». Elle est signée Satie. Combien sont-ils, dans la salle, à entrevoir lombre de Maurice Ronet derrière les notes gymnopédiques ? Tout le monde, par contre, reconnaît Raymond Domenech. Sa tête de Knysna provoque une ovation. Nous préférons Mathilde Febrer, violoniste dont les boucles, aux reflets blonds, aimantent le regard à chacune de ses apparitions. Des écrivains, également, sont de la partie. Yann Queffelec nous parle de « seins » et de « pouliche trempée ». Plus tard, Raphaël Enthoven récitera, convaincu et convaincant, un passage de Voyage au bout de la nuit. Parmi les spectateurs, quelques bâillements. Amel Bent ou Nolwenn Leroy ont davantage la cote. Après un long intermède doutre-tombe de Michel Berger, un moment de grâce : Christophe. Portant veste claire à carreaux, pantalon de corsaire et boots en cuir, le « dandy un peu maudit, un peu vieilli » sinstalle au Steinway. Sa voix de crooner nous touche. On regrette quil ne prolonge pas notre plaisir. Après Les Paradis perdus, la Dolce vita ? A la place, une minute de silence à la mémoire des « produits qui nous ont quitté » : Virgin, Léonarda, Valérie T. Applaudissements timides. Un vieux monsieur à moumoute, sosie de Guy Bedos ou dElton John, savance sur scène. Personne na reconnu Bruno Masure, ni ne lécoute. Il est temps de partir, emportant avec nous la silhouette et la voix de Natalie Dessay, quaccompagne Yvan Cassar : « Y en a qui voit la vie en rose / Moi c'est en noir, au septième ciel. » Satie, Christophe, Céline, Nougaro : la déprime est une belle idée neuve.
Texte paru dans Le Figaro, le 12/02/2014