dimanche 20 juillet 2014

Les garçons de Playboy


Qu'est-ce qu'un bon journal ? La légèreté profonde des mots et la sensualité des photos. Daniel Filipacchi ne nous en voudra pas d'avoir détourné le célèbre slogan de Paris-Match. Il l'avait fait bien avant, en créant Lui, en 1963, puis en déclinant une version française de Playboy, dix ans plus tard. La légèreté des mots, qui ne pèsent jamais, est l'arme fatale des écrivains; la sensualité des photos, elle, doit tout aux modèles qui, sous l'objectif des meilleurs photographes, se dévoilent avec grâce. Des écrivains et de jolies filles dénudées : Filipacchi connaissait la formule. Pour la mettre en oeuvre, alors que Lui déclinait doucement, il a confié la direction de Playboy à Annick Geille, la plus jeune des rédactrice en chef de Paris. Brunette au goût très sûr, Geille aimait Sagan et Bernard Frank. Elle aimait aussi les actrices, starlettes et autres mannequins qui font rêver et aiguisent les sens. Dans Playboy, elle en a décidé ainsi, les corps nus seraient à la fête, figure imposé chaque mois revisitée, mais les écrivains, surtout, se sentiraient chez eux. Il y aurait des itévés, des nouvelles, des rendez-vous, des chroniques, des reportages, des enquêtes. Une unique condition pour écrire : avoir du style, cette idée toujours neuve. Et c'est ainsi que, jusqu'au milieu des années 80, Playboy fut le palace, l'abri de fortune, des plus belles plumes françaises. Nous en avons choisi douze, parmi tant d'autres, qui seront ravis d'être les Playmates de Schnock.

Jean-Pierre de Lucovich

Frédéric Beigbeder le surnomme "la mémoire vivante de Saint-Germain-des-Prés" ou "le Sacripant". Il traverse les pages de Vie rêvée, le journal de Thadée Klossowski de Rola, et de Bel de nuit, le portrait de Gérald Nanty par Elisabeth Quin; est remercié à la fin des Grands gestes la nuit, de Thibault de Montaigu . Dans quelques bibliothèques, sa Vie extravagante d'Alfred Baugard, préfacée par Chabrol et éditée par Eric Losfeld en 1967, est un livre culte. Il a prêté sa plume au comédien Dalio et au photographe Willy Rizzo. En 2011, son premier roman, un faux polar à la fois dilettante et très documenté, paraît : Occupe toi d'Arletty ! Certains éditeurs rêvent de publier les souvenirs très dandy de cette figure de Paris-Match, Vogue et Photo. On y retrouverait l'écho de ses années Playboy. D'un numéro l'autre, il a bien sûr tenu la chronique des nuits parisiennes. Les bars des Palaces de la capitale – Pont Royal, Plaza Athénée, Ritz, Nova Park ... - étaient son terrain de jeu du mois de janvier 83: "L'homme des bars vit la nuit, se nourrit de cocktails et ne parle jamais sans la présence de sa vodka. Un bar c'est un peu comme une ambassade où, pourchassé par sa femme, sa maîtresse ou son patron, on est sûr de se voir accorder le droit d'asile." Il a également raconté ses vacances aux Seychelles : "Il y avait là un avocat célèbre avec sa femme, un grand éditeur, un homme d'affaires français de genève avec son épouse, un coupl de traiteurs-pâtissiers de Rueil-Malmaison, un historien de gauche avec une jolie baronne sortie tout droit de l'Oeil de Vogue et ... votre serviteur". Objectif final : le château de Feuilles, sur l'île de Praslin, propriété de Jean Minchelli. De ce voyage et du récit de Jean-Pierre de Lucovich, nous retenons cette pépite : "Il faut vivre comme un milliardaire sans en avoir les emmerdements ..." Elle est signée d'un dessinateur humoriste de L'Huma'. Tout un programme.

Bayon

Début 80, un jeune homme écrivant dans Libération et Rock n'Folk – sous le pseudo de Bruno T. -, passant ses nuits avec Alain Pacadis, auquel il sert parfois de garde du coeur, devait passer par Playboy. Surtout quand il possédait la plume folle de Bayon, futur prix Interallié 90 avec Les Animals. Il a commencé piano, en septembre 81, par un article où il évoquait les mérites comparés du rock et du "yéyé revival". C'était bien vu, enlevé, sur une page : "les plus belles histoires sont celles qu'on réécrit." Ca annonçait surtout, en février 82, un long papier, rédigé pied au plancher du style. Son titre ? "Faces d'ange". Bayon a soigné sa "galerie des ancêtres excités". Un festival de riffs, de voix et de came immédiatement sur les rails, dès la mise en bouche du texte : "Wam-Bam-Beuh-Loum-Bam-Beuh-Lam-Bam-Boum ! Gueules d'amour ou gueules de raie, ils sont quelques-uns, quelques sorciers, sous leurs sourcils froncés, leurs moues boudeuses, leurs bananes paraboliques et leurs airs mauvais, à avoir crié les premiers. Crié quoi ? Crié le rock'n'roll." Toutes les icônes du rock sont de la partie. Elvis Presley est "le plus grand et le plus maudit." Jésus secoue Jerry Lee Lewis. Ricky Nelson a une "belle petite tête d'enculé, le gars." Gene Vincent"est mort sale et seul avec sa mère et sa bouteille." Ca ne s'arrête pas. Little Richard ? "Négrillon blanchi à la farine des palaces et des paillettes." Ne pas oublier Chuck Berry, Eddie Cochran et Buddy Holly. Vince Taylor, lui, a choisi la nuit. Bayon précise : "Il y est resté", avant de l'achever : "Mais on entend sa gorge hurler à la mort, parfois, quand les grands froids gagnent le rock." On en redemande.

Franck Maubert

Que faisait Franck Maubert, prix Renaudot essai 2012 avec Le Dernier modèle, au début des années 80 ? Il se remettait de la mort de Robert Malaval, qui sera au coeur de Visible la nuit, beau roman mélancolique à paraître chez Fayard. Il se baladait dans les salles de vente et les galerie d'art, donnait des chroniques sur le sujet à L'Express. Il en a offertes à Playboy, également, où écrivait ses amis Jean-Marc Roberts et Françoise Sagan. Il y parlait de Roy Lichtenstein, citait Pierre Klossowski: "Erotique, mes dessins ? C'est l'image qui est érotique, même cette carte postale l'est." Dans le numéro 100, daté de mars 82, Raquel Welch en couverture, il signe un article improbable pour l'époque : "L'ère des micro-ordinateurs". La dernière phrase du papier ? "L'ordinateur deviendra aussi banal que l'automobile." C'était bien vu, tout comme le long texte, en septembre de la même année, titré : "Les joies du walking." On apprend que le "walking" est notre sport national depuis Jean-Jacques Rousseau. Tous les dimanches, Françoise Sagan, comme Thierry Mugler et François Mitterrand, marchait en forêt. Un conseil de Jacques Lanzmann : "Marchez mais n'insultez surtout pas le paysage avec vos accoutrements !" On le comprend. Certaines parures, jogging et autres, devraient être interdites. Maubert, lui, arpente toujours, aujourd'hui, les rues de Paris et les chemins de Touraine, lieux où il situe ses mélancoliques flâneries romanesques et où son oeil quête "la sculpture d'une fenêtre, le linteau d'une porte". Sans oublier, bien sûr, l'enseigne de belles tables où l'on peut déguster des vins de belle soif. Un Anglorre d'Eric Pfifferling, par exemple.

Honoré Bostel

Bostel est un mot de passe entre quelques afficionados des figures éclatantes des années 60. Fabrice Gaignault, notamment, dans Egéries sixties, dresse un beau portrait de lui. Journaliste à Paris-Match et homme de la nuit, Bostel a donné son nom à une chanson : "La Bostella". Edouard Baer en avait fait le générique d'une émission, "Le Centre de visionnage", avant de titrer ainsi son premier film. La musique et les paroles donnent une furieuse envie d'entrer en transe festive. Bostel a toutefois laissé peu de traces. Son Roman d'un turfiste attend qu'on le réédite. Chienne de vie, des souvenirs à la mode fantaisiste, n'a jamais été publié. Ses articles dans Playboy feraient également un de ces petits livres snobs, marqueurs du temps, qu'on aime lire et relire. Il faut imaginer Bostel rentrer au petit matin de chez Castel, mettre en ordre quelques pensées qu'il couche, en dilettante, sur le papier. Ses mots finiront chez l'imprimeur et entre deux playmates. Tout pour lui plaire, comme nous enchante un de ses textes, publié en avril 82 : "Un amour de Deauville". Flânant le long des Planches, Bostel évoque Pierre de Régnier, feu follet des années folles : "Dans les années trente, Tigre de Régnier, c'est ainsi qu'on l'appelait quoique son prénom fut Pierre [...] raconte que l'on se rendait à Deauville en Poule-man. Tigre, auteur d'un chef d'oeuvre introuvable – La vie de Patachon – avait dédié un de ses ouvrages au barman de l'Hôtel Normandy sans lequel, affirmait-il, il serait mort de soif [...] Mais je m'égare." Avec Pierre de Régnier et Honoré Bostel, s'égarer à Deauville est une fugue exquise. Plus encore : une certaine idée de l'art de vivre à la française.

Berroyer

Le grans public a découvert Jackie Berroyer à la télévision, dans "Nulle part ailleurs", et sur grand écran, dans quelques films. Notre préféré : Encore, de Pascal Bonitzer. Berroyer y badinait avec l'amour et avec des débutantes charmantes nommées Valeria Bruni-Tedeschi, Hélène Fillières, Laurence Côte et Natacha Régnier. Il est urgent d'éditer ce film en dévédé. Notre mémoire, comme notre magnétoscope, commence à vieillir. Acteur intéressant, Berroyer est avant tout une belle plume. Une dizaine d'ouvrages, mêlant romans, chroniques et proses vagabondes, en apportent la preuve. Au hasard, (re)lire Journal intime pour tous, La femme de Berroyer est plus belle que toi, connasse ou Mon cancer, ma Jaguar. On peut par ailleurs trouver la signature de Berroyer dans Charlie Hebdo et Hara-Kiri, période professeur Choron, où il s'interressait à la musique. Pas étonnant, donc, qu'il livre à Playboy, en mai 82, une belle déclaration d'amour à Miles Davis, le Cassius Clay du jazz. Il s'agissait de donner envie d'aller écouter Miles pour son retour sur scène, au Châtelet : "Je suis une sorte d'inconditionnel. C'est le seul musicien moderne qui me comble. J'aurais fait n'importe quoi pour le revoir jouer. Des dettes, par exemple. J'en ai fait. J'aurais même rompu avec votre femme, s'il avait fallu." L'humour tendre de Berroyer fait mouche. Il se souvient de New-York, se fait technicien pour raconter l'oeuvre de Miles. Il évoque Coltrane et Al Foster. Les concerts parisiens de la star de la "blue note" seront un succès. Et Jackie tiendra désormais la chronique musicale, jaz et rock, de Playboy.

Jean d'Ormesson

Eternel jeune homme, Jean d'Ormesson ne déteste pas s'encanailler. Interrogé par Annick Geille en février 81, à l'occasion de la sortie de Dieu, sa vie, son oeuvre, il s'exclamait : "Ah ! Playboy, c'est très bien! On y trouve moins de choses ennuyeuses que dans les journaux dits sérieux ..." On sentait que ça le démangeait d'offrir ses mots au magazine. Laura Antonelli, en couverture et dans les pages intérieures, avait dû lui faire un certain effet. Et puis il était hors de question de laisser le champ libre à Bernard Frank, son meilleur ennemi qui avait table ouverte chez Annick Geille et qui, à la même époque, le taquinait volontier dans les pages du Matin de Paris. Il a fallu attendre plus d'un an, juin 82, pour relire D'Ormesson dans Playboy. Une page sur Chateaubriand, avec détour par Byron. Jean d'O à son meilleur, crooner aux yeux bleus des lettres françaises. Il roucoule, fait des claquettes, séduit. La chute de son texte est imparable : "La seule condition, mais si minime, pour que les femmes, une à une, ou même ensemble, vous tombent dans les bras est d'être capable d'écrire quelque choses comme les Mémoires d'outre-tombe." Au 23 quai Conti, les joues des Académiciens se sont empourprées. Ont-il également jeté un oeil sur les photos de Dominique Laffin, uniquement parée de bas blanc et d'escarpins dorés ? Nous n'en doutons pas. Et il n'est pas impossible que certains se soient faits des idées, en lisant la confidences de la maman de Clémentine Autain : "Les beaux mecs me plaisent rarement. Ce qui m'attire, c'est le charme véritable, l'humour véritable, l'intelligence véritable. C'est ça, la séduction."

Bernard Frank

Après de longues années d'exil sous le soleil de Port-Grimaud, Frank revient à Paris, rue d'Alesia, dans la maison de Sagan. Nous sommes à la fin des années 70. Lui qui n'avait rien publié depuis Un siècle débordé (prix des Deux Magots 71), il prend son temps pour achever Solde, la suite de ses flâneries sur le fil de la paresse. Chez Sagan, il rencontre Annick Geille, qui est amoureuse de Françoise. Annick encourage Bernard à mettre un point final à Solde. Elle lui ouvre son coeur, ainsi que les pages de Playboy. Frank aime le toit des autres et les colonnes des journaux. Les deux endroits où il se sent, parfois, chez lui. Il commence par donner des nouvelles qui traînaient dans ses tiroirs : "Une mauvaise nouvelle" et "Mémoire d'un triste sire". C'est du Frank de haute tenue, snob et légèrement décadent, dans la lignée des Rats et de L'Illusion comique, ses uniques romans. Puis, en février 1982, il trouve l'alibi parfait pour ses parties de plaisir : "Vous ne verrez sans doute pas grande différence entre cette chronique et celles qui l'ont précédée. Pourtant j'ai franchi la ligne : je suis presque devenu un chroniqueur gastronomique." Quand on goûte la bonne chair et les grands vins de Bordeaux, il n'y a pas mieux. A la table des meilleurs restaurants, Frank prévient : "Si j'ai un conseil à vous donner, méfiez-vous de mes avis, je suis comme mes confrères : un chien avec un collier". Il fait une belle apologie du bakchich, laisse les mots fuguer selon ses envies : "la cuisine a autant de rapport avec l'Ecole hôtelière que la littérature avec le ministère de la Culture." En juillet 82, à propos d'un restaurant sis 1 rue de Coulmiers, le Provost, Frank cisèle sa chute : "Et puis la fille du charcutier dont le sourire est un baume. Partez sans moi. Je ne suis plus si pressé." On le comprend.

Jean-Marc Roberts

A la fin des années 70, pas encore âgé de trente ans, Roberts avait déjà publié cinq romans et obtenu deux prix avec Samedi, dimanche et fêtes (Fénéon 73) et Affaires étrangères (Renaudot 79). Des débuts prometteurs. Pour aggraver son cas, il s'amusait à éditer d'autres écrivains – au Seuil à l'époque – et ne détestait pas écrire dans les journaux. Roberts : l'incarnation de la figure de l'éditeur-écrivain. Un anachronisme, aujourd'hui, alors que l'édition marketing est partout. C'est que Roberts – ses amis et ses auteurs le confirment – était un joueur, entre coup de coeur et coups tordus. On ne s'étonne pas, alors, de lire, dans le numéro d'août 81 de Playboy, un texte où il met en mot sa passion du jeu. Des souvenirs de tapis verts qui prennent la forme d'une fugue interrogative : "Casino chic ?" Le ton est immédiatement donné : "J'écris cet article sous la menace. On devrait toujours écrire ainsi, un revolver braqué contre la tempe, une rame de papier devant soi et le Waterman qui tremble. Le rapport entre menace et casinos ? Enfantin : pour me mettreau travail, j'ai dû me jurer de ne pas retourner jouer avant d'avoir tout dit." Roberts aligne les fusées : "Le casino d'Enghien-les-Bains [...] ressemble à une pièce montée écoeurante"; "les plus beaux casinos du monde, même les plus laids, soyons sérieux, sont ceux où l'on a gagné"; "les gens ne sont pas des gens au casino de Deauville, moitié momies, moitié fantômes, ils se tendent, se donnent la main parfois pour se croire simplement en vie"; "j'aime les casinos de la Côte d'Azur où l'on se sent en danger. Prêt à prendre une balle perdue." Il faudrait citer intégralement les quatre pages de texte. Décidément, Roberts n'a pas fini de nous manquer ...

Eric Neuhoff

Eric Neuhoff, alors journaliste à Pariscope et au Quotidien de Paris, ne pouvait qu'écrire dans Playboy. Le magazine permettait d'admirer, chaque mois, des actrices et des starlettes joliment (dé)vêtues, de lire Sagan et Bernard Frank. On imagine facilement la joie d'Eric en découvrant, en couverture, Corinne Cléry, la star d'Histoire d'O, ou Sydne Rome, intime incarnation de la sensualité. Les longues interviews de Nourissier, Norman Mailer ou un inédit de Hunther S. Thompson ne devaient pas non plus déplaire au jeune homme. Neuhoff était donc chez lui dans les pages dirigées par Annick Geille. Il s'y est pourtant présenté sur la pointe des pieds, en septembre 1981, quelques mois avant la parution de Précautions d'usage, son premier roman. Comme il le fait aujourd'hui dans ses "Passe-temps" du Figaro Magazine, Neuhoff s'est emparé d'un sujet, qu'il a sculpté de sa plume légère. Le résultat ? Une élégante flânerie autour de la timidité : "La réserve me tenait lieu de charme. Elle m'allait comme un gant." Les baisers volés, également, étaient de la partie : "Avec les femmes, le manège se prolongeait. Par peur de les vexer, j'acceptais toutes leurs avances. J'étais si courtois, si galant que je n'empêchais pas les demoiselles moches de m'embrasser sans une objection." A la fin de son texte, il est question de "l'odieux arsenal de la vie quotidienne" : travail, mariage, etc. Un arsenal qu'Eric, de ses romans minces et beaux comme les jambes des filles chez Morand à son Dictionnaire chic du cinéma, a parfaitement réussi à dynamiter. Il faudra songer à lui en reparler, lors d'un prochain déjeuner de plaisir, au Jeu de quilles, meilleure table de la rue Boulard, donc de Paris.

Guy Hocquenghem

Il y a un essai à écrire, un tableau triste d'époque, sur tous les écrivains morts des suites du SIDA sous la présidence de François Mitterrand : Michel Foucault, Jean-Paul Aron, Hervé Guibert, Cyril Collard, Bernard-Marie Koltes, Serge Daney, Conrad Detrez, Guy Hocquenghem, Pascal de Duve, entre autres. Si le surfait Guibert est commémoré sans fin, le meilleur d'entre eux était sans doute Guy Hocquenghem. Sur le coup, on peut croire sur parole Jean-Edern Hallier : "Il a été un des derniers esprits libres de notre temps – et sa grâce n'a été brisée que par la maladie." Sa grâce, en effet, est à l'oeuvre dans chacun de ses livres, roman ou essai. Au hasard de nos lectures : La beauté du métis, Les petits garçons ou Eve, dont les cinquante dernières pages, où il évoque le mal qui l'emportera, sont inoubliables. Fine plume de Libération première génération, Hocquenghem s'y sent parfois à l'étroit. Serge July goûte peu ses éclats d'âme. En octobre 79, Hocquenghem s'échappe donc du côté de Playboy. Dans la rubrique "Air du temps", alors que la Nouvelle droite et de Benoist font fureur, il pose une question fondamentale : "La Nouvelle gauche existe-t-elle ?" On se croirait presque en Hollandie. Les mots d'Hocquenghem, d'ailleurs, résonnent d'un écho très contemporain : "Pas de nouvelles sur mon trottoir, dit La Gauche, comme les putes de la rue Saint-Denis, menacées par la concurrence." Pas sûr que ça plaise aux Valls du jour qui devraient, urgemment, (re)lire Lettre ouverte à ceux qui sont passés du Col Mao au Rotary (Albin Michel 86) ...

Thierry Ardisson

Thierry Ardisson n'a pas toujours été un animateur télé à fiches et à gagmen. "Homme pressé", il s'est longtemps rêvé Paul Morand. Ses deux premiers romans, Cinémoi (1973) et La Bilbe (1975), ont une tenue qu'on va retrouver dans Playboy. Ardisson s'installe dans les pages du magazine dès la fin des années 70. Il y raconte les nuits de Paris, en aristocrate du nightclubbing, là où Pacadis incarne le "clochard céleste". Numéro après numéro, Ardisson est sur tous les fronts. Aux Etats-Unis, il signe des reportages au long cours, notamment sur "l'affaire Gemstone" impliquant Onassis, Kennedy, Howard Hugues. Avec Jean-Luc Maître, il imagine des romans-photos hilarant : les aventures de Scoopy. On peut lire également une belle critique de Novovision d'Yves Adrien, autre oiseau de nuit des années Palace. Il invente surtout un découpage temporel des soirées, zapping chic qu'il adaptera, des années plus tard, sur petit écran : Paris dernière. En novembre 79, cette phrase parfaite : "18h41. La mélancolie, c'est le bonheur d'être triste, c'est nous parfois ... C'est moi maintenant. J'écoute un disque, un slow bien sûr, le slow de l'automne ..." C'est vif, mélancolique et glacé, presque fitzgeraldien. Un ton qu'on retrouvera dans Rive droite, bijou millésimé 1983. Après, ça se gâte. La publicité et la télévision donnent le sens du pitch, mais le souffle court. En 1993, Pondichéry, roman colonial, est épinglé pour "plagiat". Ardisson délaisse alors la littérature, préférant savoir si "sucer, c'est tromper." Son meilleur livre, pourtant, est encore inédit : le recueil de ses fulgurances de Playboy. En espérant qu'il les ait écrites lui-même.

Pierre Combescot

Dans La Récréation, Frédéric Mitterrand met en scène Pierre Combescot, légèrement grisé, dans un vieil ascenseur de L'Opéra Garnier, en présence de la Reine du Danemark et du Prince Henrik. Combescot s'adresse au Prince : "Alors mon chou, tu n'as quand même pas oublié tes vieilles copines ? Et les bicquets danois, ils sont aussi mignons que les petits Français ? Il paraît que c'est toi qui leur dessine leurs uniformes à la cour, tu fais aussi les essayages ?" La Reine a apprécié l'anecdote. Combescot, prix Médicis 86 (Les Funérailles de la sardine) et prix Goncourt 91 (Les Filles du calavaire), a toujours possédé ce grain de folie baroco-kitsch, qu'il applique aux grands et petits du monde, duchesses ou gitons. Il aime n'en faire qu'à sa fête. Paré d'un tutu, il dansait ainsi un "Pas de deux", sur la piste des Bains douches, sur un air du Lac des Cygnes. On ne s'étonne donc pas qu'il signe ses chroniques musicales du Canard enchaîné d'un pseudo bien troussé : Luc Decygne. Des années plus tôt, sous son nom, Combescot oeuvrait de même dans Playboy. Il y tenait salon, bons mots et moquerie à l'assaut. Ses portraits de Noureev et de Karajan étaient des merveilles de précision flamboyante. Pour notre plaisir, on relit l'ouverture de sa première chronique, dans le numéro 100 de Playboy : "On pouvait penser, à juste titre, en être débarassé au moins pour un temps, de cette vieille fripouille. Eh bien non ! Il continue à nous coller aux fesses ce bougre de Richard Wagner. Et pour un peu il va remettre ça de plus belle." Ou encore, en décembre 83, son invitation au voyage : "L'automne est là, l'hiver approche, alors voyageons. Si vous aimez la musique et que vous en avez assez de faire du piano avec votre maman, prenez le large. Voyez du pays. Visitez la Scala et le San Carlo. Faites vos délices de la Fenice. Plastronnez au Covent Garden."

Texte paru dans Schnock #11

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