vendredi 26 septembre 2014

Maurice Pialat, jeune romancier (Nous ne vieillirons pas ensemble)


Quand on publie son premier roman à 45 ans, l'urgence est passée. On peut ensuite se retirer de la littérature, réaliser des films. Ça a été la stratégie de Maurice Pialat.

Nous ne vieillirons pas ensemble, roman millésimé 1970, s'est transformé, deux ans plus tard, en succès du 7e art. Le second long-métrage de Pialat – après L'Enfance nue – et son plus gros succès, avec Police sorti en 1985. Plus d'1,7 million de spectateurs ont suivi les péripéties chaotiques de Jean Yanne et Marlène Jobert, amants tristes et terribles. Ne pas oublier, ultime pointe du triangle, la femme qu'interprétait Macha Méril.

Pialat a filmé une romance contrariée des années De Gaulle-Pompidou. Tout y passait : amour vache, chambres d'hôtel, tendresse abrupte, larmes, cris, virées en bord de mer, retrouvailles, ruptures. On ne se lasse pas de regarder le film. Marlène Jobert était le sex-symbol français des seventies, révélée par Audiard dans Faut pas prendre les enfants du Bon Dieu pour des canards sauvages. Elle se mettait à nue assez facilement. Ses tâches de rousseur n'étaient pas étrangères à son charme. Face à elle, Jean Yanne est monumental, dans la lignée de son rôle dans le chef d'oeuvre de Chabrol, Que la bête meure. On comprend que le jury du Festival de Cannes lui ait attribué, en 1972, le prix d'interprétation masculine. Sa violence peut émouvoir ; sa sensibilité enfouie cogne. Plusieurs scènes restent en mémoire. Jean Yanne jardine, torse nu. Marlène Jobert le rejoint. Parée de lunettes noires et d'un bikini rayé, elle minaude en douceur : « T'as pas envie de boire quelque chose ? » La réponse claque : « Fais pas chier ! Dégage ! » Dans un balancement de hanches sensuelles, Marlène s'en va. Au volant de sa voiture, Jean Yanne : « Je suis en train de gâcher ma vie ! Tu ne sens pas que j'en ai assez ? Tu ne sens pas qu'il faut que tu te barres ? » Ceci va mal finir. On le sait : tout était déjà dans le roman, dont l'action commence un matin de mai 1966.

A l'époque, Maurice Pialat était un cinéaste qui ne parvenait pas à tourner. Il avait, certes, quelques courts-métrages au compteur. Mais un « vrai »film, non. Les producteurs hésitaient. L'argent ne tombait pas. Pialat tenait sa réputation : caractère de cochon. Et Pialat, marié, avait une liaison amoureuse avec une jeune femme. Las d'attendre, Pialat allait se raconter, peau sur la table et à vif. Un premier roman, même à 45 ans, ce n'est rien d'autres. Les premières phrases donnent le ton : « Je n'ai jamais bien su où j'allais dans la vie et je n'ai surtout pas la notion du temps qui passe. Je suis encore comme ça aujourd'hui, et si je remonte à quelques années, je me retrouve semblable, et plus loin encore, semblable … Est-ce une façon de ne pas vieillir ? Le temps a peu de prise sur celui qui ne le sent pas passer ... » Le narrateur accompagne sa femme, Françoise, à l'aéroport du Bourget. Elle fugue en URSS, à Sotchi. Il lui faut des vacances, perfectionner son russe également. On peut la comprendre. Pialat ne cache rien : « Nous sommes mariés depuis quinze ans, je la trompe depuis huit, et ça fait six ans que je couche avec Colette, que j'ai rencontrée un soir sous le Lido des Champs-Elysées. » Colette ? Elle a 25 ans, tape à la machine, aime faire l'amour, ne veut jamais fêter la Sainte-Catherine. La maîtresse parfaite d'une éducation sentimentale à la française.

Le roman va dérouler, en une centaine de pages, le fil brisé de cette histoire à trois. Pialat, s'il ne s'embarrasse d'aucune fioriture, ne manque aucun détail. Son style est sec et précis. Les personnages sont là ; les dialogues, affûtés. Il y a Paris et sa banlieue, des stations de métro, la Camargue, Honfleur, Cabourg, des trains qui partent à l'heure. L'automobile et les bistrots ont leur importance. On s'y engueule comme rarement. Monsieur Blot, de Pierre Daninos, est acheté en livre de poche au stand des journaux. Le bonheur, entre les lignes, n'est pas prêt d'être une idée neuve. La chute, toujours, est dure : « Je vais dans l'autre chambre. Je me déshabille. Je me mets au lit. J'éteins la lampe. Je suis dans le noir. Je ne dormirai pas. Je ne dormirai jamais plus comme avant. Rien ne sera plus comme avant. Combien de temps mettrai-je pour oublier Colette ? Je n'oublie pas les gens que j'aime. On n'en rencontre as souvent. »

La gorge se serre. Pialat est un auteur bukowskien : l'amour, chez lui, est un chien de l'enfer. Il n'écrira plus de roman. Publié chez Galliera, l'accueil de Nous ne vieillirons pas ensemble a été confidentiel. Le genre d'affront à ne pas infliger à Pialat. On se souvient de sa fusée, au Festival de Cannes 1987, alors qu'il recevait sous les sifflets la palme d'or pour Sous le soleil de Satan : « Sachez que si vous ne m'aimez pas, je ne vous aime pas non plus ! » Difficile de mieux dire.

Il reste maintenant à se plonger dans son unique roman, à revoir ses films – A nos amours ou Le Garçu, par exemple – et, si l'on veut retrouver sa silhouette, à la chercher dans les très belles pages que Jean-Jacques Schuhl consacre à Jean Eustache, dans son recueil des nouvelles : Obsessions.

Préface à Maurice Pialat, Nous ne vieillirons pas ensemble, Archipoche, collection "Un roman, un film culte"

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