samedi 25 avril 2015

L'amant de poche - Voldemar Lestienne


La lutte a été féroce. Le 1er décembre 1975, le prix Interallié est attribué à L'amant de poche de Voldemar Lestienne, au quatrième tour de scrutin, par 6 voix contre 5 à Ciel de cendres d'Alexandre Astruc (Le Sagitaire). La maison Grasset a su faire ce qu'il fallait, Yves Berger orchestrant la manœuvre. Ca a laissé des traces parmi les membres du jury. Antoine Blondin s'est retiré du théâtre des opérations : « Je n'éprouve aucun mauvais sentiment contre Voldemar Lestienne, pour lequel j'ai beaucoup d'amitié, ni contre le prix Interallié, que j'ai reçu et distribué avec beaucoup de plaisir. Mais je ressens une immense lassitude devant les inévitables pressions exercées sur les membres du jury. »

Voldemar Lestienne se moque des intrigues littéraires. Il a mieux à faire. Diriger France Dimanche, après s'être fait la main à Elle et France Soir. Trouver l'accroche d'un papier sur un fait-divers de banlieue : « Le bal des fines moustaches ». S'amuser avec Sagan et sa bande, après être sorti indemne d'un accident d'Aston Martin DB Mark III avec Françoise. Il pratique la littérature en dilettante. Sa présentation en marge de ses livres l'atteste : « Voldemar Lestienne est né en 1932 à Lille (Nord). Il est marié. Il a trois filles. Il n'a fait ni l'E.N.A., ni Polytechnique, ni H.E.C. » Variante : « Voldemar Lestienne n'est ni ancien forçat, ni parachutiste, ni drogué, ni correspondant de guerre. » Ses œuvres n'encombrent pas les librairies. Avant L'amant de poche, il n'a publié que trois livres : Dillinger (1958), Furioso (1971) et Fracasso (1973). Dans les deux derniers, best-sellers, il transpose les Trois Mousquetaires en juin 1940. Certains puristes se pincent le nez. Ca n'a pas grande importance. Les mêmes tiquent également devant Cecil Saint-Laurent. Le style, toujours, reste une idée neuve. Voldemar Lestienne se fait plaisir, donc il nous enchante. Ses phrases sont pleines de rire, de pieds de nez, de légèreté, de fulgurances. Des facilités ? Parfois. Ca donne au lin des mots sa nécessaire froissure.

Mieux qu'un bandeau Interallié, il y a un art imparable de donner envie de lire L'amant de poche : « Quel jeune lycéen n'a pas rêvé d'être l'amant d'une femme blonde, belle, riche, qui viendrait le chercher à la sortie du lycée au volant d'une Maserati ? » On n'est pas sérieux quand, pas encore âgé de 16 ans, on boit trop de ouisquie. La tête tourne. Surtout si Héléna, surnommée « V.O. Lénine », apparaît. Elle dit « vous » ou « tu », selon son envie ; porte un blue-jean, un débardeur et ses cheveux sur les épaules. Un détail : pas de soutien-gorge. Difficile de résister. Le lendemain, Héléna récupère le jeune homme à la sortie de son lycée. Elle conduit une Maserati « Indy » 4 places. Sa parure du jour : des bas, une jupe à plis, des escarpins à talon carré, un corsage à reflets doux, un chignon dans le cou. Ca impressionne, tout comme son appartement, résidence Henri V. Qu'en conclure ? « On sentait bien que tout ça avait dû coûter cher et que Lénine aujourd'hui avait mis son soutien-gorge. » Pendant l'amour, Héléna écoute la « Traviata » ; après, elle boit du champagne. Plus inquiétant, elle répond en sourdine à de drôles de coup de téléphone. Puis congédie d'une voix douce : « Ta mère va s'inquiéter ». Il y aura, plus tard, des phrases encore plus vexantes. Héléna avait prévenu : « N'oublie jamais ça : je ne suis qu'une bourgeoise. » Les éducations sentimentales sont souvent des histoires de chagrin.


L'amant de poche a été le dernier livre de Voldemar Lestienne. Dans sa critique du Monde, Bertrand Poirot-Delpech évoquait « le monde de Sagan raconté par le Club des Cinq ». Ce n'était pas si mal vu, un zeste réducteur. Nous préférons nous souvenir du beau portrait que Gérard de Villiers, qui oeuvrait lui aussi à France Dimanche, consacre à Lestienne dans Sabre au clair et pied au plancher, ses mémoires : « Le personnage le plus pittoresque de l'équipe était sans conteste Voldemar Lestienne. Bourré d'humour, myope comme une taupe, c'était le roi du titre. » le 17 décembre 1990, à 59 ans, Lestienne s'en est allé. Un mystère toutefois demeure, que confie de Villiers : « Nous n'avons jamais su comment ce garçon un peu lunaire avait été surnommé « Couilles d'ange » »

Voldemar Lestienne – L'amant de poche – Grasset 1975
Texte paru dans Schnock #14, hiver 2015

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